Le premier forum Russie-Afrique s’est tenu les 23 et 24 octobre derniers dans la station balnéaire de Sotchi. A la suite des sommets bipartites entre l’Afrique et la France organisés depuis 1973, le Japon depuis 1993, la Chine depuis 2006, la Russie estime le moment venu de structurer ses échanges à l’échelle continentale sur un double mode bilatéral et multilatéral.

Il s’agit d’affirmer sa place de partenaire stratégique au côté des grandes puissances chinoise et états-unienne, profitant de l’affaiblissement de moyennes puissances européennes insolvables comme la France, de surcroît tétanisée par un passé colonial jugé uniquement à charge par idéologie de repentance. L’objectif est de saisir les opportunités économiques offertes par l’ouverture des marchés africains à la concurrence internationale, en fidélisant une clientèle politique africaine avide d’argent rapide, liquide, et inconditionnel.

La diversité des thèmes abordés témoigne de l’ambition de la Russie de se positionner comme partenaire global de l’Afrique : rôle des médias, infrastructures et industries extractives, transformation digitale, énergie nucléaire, lutte contre l’insécurité, santé et biodiversité, coopération et financement participatifs, technologies de souveraineté, développement social et éducatif. Sans oublier l’inévitable question politiquement correcte du genre, ni celle du rôle des jeunes dans la maîtrise d’une croissance durable – sans toutefois s’imposer les remontrances pénibles d’une jeune Natacha-Greta manipulée.

On sait peu en France combien les relations entre l’Afrique et la Russie sont anciennes et ancrées. Bien avant les relations bilatérales avec l’Union Soviétique au cours du XXe siècle, l’imaginaire collectif s’est nourri de symboles liés à d’anciens échanges commerciaux et culturels. La Russie doit à l’intense trafic d’esclaves noirs par les Arabes vers l’empire ottoman, son grand poète métisse Pouchkine, trésor culturel national, arrière-petit-fils d’un esclave originaire d’Afrique centrale racheté au XVIIIe siècle aux Turcs pour le compte de Pierre le Grand. Affranchi puis anobli par mérite, Abraham Hannibal est devenu secrétaire de l’empereur puis général en chef de l’armée impériale. Alors que l’Europe comptait déjà parmi ses figures africaines, depuis treize siècles, l’évêque d’Hippone devenu saint Augustin, il n’en faut pas plus aux Russes pour retisser une relation stratégique avec l’Afrique. D’autant que Vladimir Poutine y est très populaire, pour l’image qu’il donne de solide gardien d’une identité culturelle forte et de valeurs nationales décomplexées, comme le montre bien Héléna Perroud dans son livre Un Russe nommé Poutine, loin du salmigondis multiculturaliste qui se répand en Occident.

Anecdote significative de l’air du temps, illustration d’une obsession de rattrapage matériel et de revanche-vengeance historique dans les pays africains anciennement colonisés, la représentante d’un petit parti politique ivoirien d’opposition, au ton aussi véhément que son avenir politique est improbable, a profité de cette tribune internationale inespérée pour déverser des flots démagogiques d’incongruités historiques et économiques animées par une haine anti-française farouche et ingrate, excitant sur les réseaux sociaux de nombreux jeunes Africains frustrés qui n’osent pas exiger des comptes de leurs propres dirigeants défaillants et corrompus. De quoi aiguiser l’appétit de l’ours russe, qui n’en demandait pas tant pour justifier le renforcement de sa présence. Quant à la France, on a déjà dit ici les raisons de son décrochage en Afrique, qui ne fait que se confirmer.

Rappelons enfin le mot de Marcel Zadi Kessy, sage africain vivant d’Afrique de l’Ouest : « L’époque coloniale, malgré les dégâts causés, a transmis à l’Afrique, à travers la culture technicienne et scientifique, les germes du changement. Et surtout, une ouverture à d’autres cultures. »

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 09/01/2020 à 16:52.

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03 novembre 2019 à 21:19

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