Cette époque est décidément folle. Folle de vitesse, de précipitation.

L’incendie faisait encore rage derrière les tours de Notre-Dame que, déjà, on posait la question : combien de temps pour reconstruire, à quel coût, comment ?

Nul, alors, ne savait quelles ruines fumantes surgiraient du sinistre, mais il fallait déjà avoir bouclé l’enquête, le devis des travaux et nommé l’architecte !

Aujourd’hui, les querelles se multiplient : les généreux donateurs doivent avoir l’âme pure, pas question qu’ils bénéficient de la déduction fiscale prévue en la circonstance. Salauds de riches ! Surtout, alors que les pompiers en sont encore à chercher dans les décombres fumants les raisons du sinistre, on commence à s’entre-déchirer sur la reconstruction.

Le Président en a fait un grand projet pour la nation. C’est son devoir et une occasion, peut-être, de retrouver une unité partie en lambeaux. Hélas, on n’en prend pas le chemin… Et l’on s’interroge : pourquoi vouloir refaire la cathédrale « plus belle encore » ? Surtout, pourquoi « un nouveau geste architectural » ?

Pour avoir autrefois beaucoup travaillé sur les « grands travaux » de Mitterrand (1), je crains le pire… surtout quand le Premier ministre annonce le lancement d’un grand « concours international d'architecture sur la reconstruction de la flèche ».

Je le redis, on peut s’attendre au pire : on a déjà parlé de remplacer la toiture par une verrière. On imagine l’horreur, façon Opéra de Lyon de Jean Nouvel… avec des néons multicolores, peut-être ? On pourrait aussi monter une flèche moderne, une pyramide, tiens, avec une pointe noire en titane : la plus grande antenne pour la 5G, ça aurait de la gueule, non ? Et pourquoi pas la plus grosse structure fabriquée sur imprimante 3D ? Pas mal non plus. Tout est possible, hélas, y compris, comme l’évoque encore un internaute, « un autel fait par Kuntz » ou un champ « de colonnes par Buren » en guise de charpente.

Je divague, ou plutôt je cauchemarde. Mais quand j’entends qu’Anne Hidalgo veut faire de Notre-Dame restaurée le phare des Jeux olympiques à Paris, je ne suis pas rassurée du tout.

Coursé qu’il était par la maladie et la mort, François Mitterrand inventa « les grands projets du septennat » qui devinrent « les grands travaux ». Habile politicien, il fit de leur réalisation « un type d’intervention dégagé de la normalité des procédures ordinaires », comme l’expliquait Émile Biasini, qui en avait la charge. Il fallait, en effet, que les opérations voulues par le Président « échappent aux pesanteurs des gestions ordinaires ». On ne saurait mieux définir le fait du prince.

Élu une première fois en 1981, François Mitterrand tint absolument à inaugurer les monuments à sa gloire pour le bicentenaire de la Révolution, en 1989. Beaucoup furent bâclés. Dix ans après, ils étaient tous emmaillotés dans des filets pour retenir des pans de façades qui tombaient en morceaux. Va-t-on rejouer ce scénario ?

Il ne reste à Emmanuel Macron que trois ans pour boucler son mandat. Anne Hidalgo espère reconduire le sien pour six ans, faisant de 2024 sa ligne de mire… D’ores et déjà, la bataille s’organise pour éviter que la cathédrale de Paris ne devienne l’enjeu des règlements de comptes politiques. Une pétition est en ligne pour exiger la reconstruction à l’identique de la flèche Notre-Dame…

S’il n’y avait qu’une vérité à retenir chez Mitterrand, c’est celle-ci (qu’il n’a, en l’occurrence, pas appliquée !) : il faut laisser du temps au temps. Alors, pour reprendre les mots d’un certain Romain sur Twitter : souvenons-nous que « les bâtisseurs de Notre-Dame brillaient par la puissance de leur anonymat ou la beauté de leur modestie. Notre cathédrale ne saurait être le cobaye pierreux de la modernité. » Dieu fasse qu’il soit entendu…

(1) Un pharaon républicain : les grands travaux de Mitterrand – Éd. Grancher

4233 vues

18 avril 2019 à 15:06

La possibilité d'ajouter de nouveaux commentaires a été désactivée.