Par une belle ironie de l’Histoire, il est aujourd’hui facile de montrer qu’il n’y a peut-être pas, en Europe, de démocratie plus illibérale que la France. Au moment même où François Fillon et son épouse sont confrontés à la Justice, le Premier ministre met un terme au débat parlementaire en faisant appel au 49-3. En 2017, l’intervention brutale et ultra-rapide du parquet national financier, après un article dénonciateur dans la presse, avait bousculé le processus électoral et permis d’abord l’élection inattendue de Macron, et ensuite celle d’une majorité macronienne pléthorique. Lors du début du procès, une charge violente du parquet est allée jusqu’à évoquer la pendaison, sous l’Ancien Régime, des condamnés pour détournement d’argent public. Cet excès envers un homme innocent jusqu’à preuve du contraire et, au plus, coupable d’avoir fait, dans le cadre du pouvoir législatif, ce que de nombreux autres faisaient aussi, est la pointe émergée d’un iceberg : celui d’une Justice instrumentalisée en fonction des élections, cette fois, comme par hasard, en prélude aux municipales. Cette Justice intervient sur le territoire du pouvoir législatif et le président de l’Assemblée participe à la curée alors que lui-même est poursuivi pour détournement de fonds, mais d’une manière infiniment plus lente. Le parquet de Brest l’avait même d’autorité disculpé, là aussi, comme par hasard. Qui peut parler d’indépendance de la Justice ? Qui peut évoquer l’égalité des individus et de leurs droits devant les tribunaux ? Suivant la position ambiguë de Mme Belloubet sur le blasphème, le parquet de Vienne avait ouvert une enquête à l’encontre de Mila pour incitation à la haine, avant de la clore précipitamment lorsque le garde des Sceaux avait dû se livrer à une retraite précipitée sur des positions non préparées. Certes, c’est le siège qui juge, mais c’est le parquet qui déclenche l'hallali médiatique !

Le 49-3 est un dispositif constitutionnel qui, dans l’esprit de la Ve République, donne l’avantage à l’exécutif sur le législatif afin d’échapper à la discontinuité propre à la IVe République. C’est un moyen d’exception dont l’emploi abusif est, à l’évidence, une entorse à la démocratie libérale. Lorsqu'une opposition interne à la majorité parlementaire fragilise celle-ci et, donc, son soutien au gouvernement sur un sujet particulier, ce dernier engage sa confiance c’est-à-dire met la majorité au pied du mur : veut-elle pour autant faire tomber le gouvernement et risquer la dissolution ? On se rend bien compte que la situation est toute différente. La majorité demeure écrasante et aurait pu vaincre l’opposition en y mettant le temps… celui de la démocratie. Elle aurait pu, d’ailleurs, opter pour un temps programmé, dès le départ. On en arrive donc à cette situation d’un pouvoir exécutif qui contourne totalement le pouvoir législatif pour aller vite. Depuis l’instauration du quinquennat, l’Assemblée n’est plus que la projection démultipliée de la présidence. Encore cette dernière n’a-t-elle plus la patience que l’opposition résiduelle puisse s’y exprimer. Qui pourrait encore parler de séparation des pouvoirs ? En France, il n’y en a qu’un, d’ailleurs omniprésent dans les médias et qui, texte après texte, rogne la liberté d’expression partout où elle peut encore subsister, notamment sur les réseaux sociaux. Très symbolique de cette ambiance quasi totalitaire a été l’intervention du ministre de la Culture tentant de dissuader le jury des César de décerner un prix à Polanski : de quel droit ?

Si on met dans la perspective de cette note la brutalité très sélective des forces de police contre les gilets jaunes et le coup manqué, par le ministère de l’Intérieur, de modifier les résultats apparents des élections municipales au profit du « parti », on se dit qu’effectivement, s’il y a un État « illibéral », c’est bien le nôtre, sauf que lui n’a pas le soutien populaire dont bénéficient les gouvernements hongrois ou polonais. Un État illibéral non populiste ? Ce n’est pas grand-chose : ce devrait même n’être rien !

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01 mars 2020 à 8:55

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