Un tombeau pour Romulus ?

romulus et remus

Il y a quelques jours, une nouvelle incroyable (vieille, en réalité, d’un peu plus d’un siècle) nous parvenait d’Italie, relayée par Le Parisien : des fouilles sur le Forum romain auraient permis de retrouver le tombeau du fondateur de la Ville éternelle, « celle qui de son chef les étoiles passait » (Du Bellay), Romulus en personne. Concrètement, on avait mis au jour un sarcophage de tuf d’environ 1,40 mètre de long, associé à un cylindre de pierre (un autel ?). Cela suffisait sans doute pour rêver, mais le rêve fut de courte durée, puisqu’il s’avère que ces deux éléments ne remontent qu’au VIe siècle avant J.-C., soit bien après la date supposée de la mort de Romulus (fin VIIIe).

Donc, pas de tombeau, et ce n’est guère étonnant s’agissant d’un personnage qui baigne plus qu’à moitié dans les brumes de la mythologie. Cependant, les Romains eux-mêmes ne doutaient nullement de son existence historique, puisque, à défaut de montrer son sépulcre, ils entretenaient avec soin et dévotion ce qui passait pour la cabane du père fondateur. Chose certaine, en tout cas, la figure de Romulus représenta toujours à Rome un enjeu idéologique de première importance. Prenez Auguste, le fondateur de l’empire (63 av. J.-C. - 14 après), Octave de son vrai nom. Lorsque, après des années de guerres civiles, « ce tigre altéré de tout le sang romain » (Corneille, Cinna) résolut en quelque sorte de se refaire une virginité, il aurait d’abord envisagé, selon l’historien Dion (53, 16, 7), de se faire appeler Romulus, avant d’opter finalement pour Augustus.

C’est que non seulement Romulus portait le nom haï de roi, mais il s’était souillé du sang de son propre frère et, selon une version de la légende, il avait même fini lynché par les sénateurs. Attention, danger !

Bref, le symbole était à double tranchant, en sorte que des esprits malintentionnés ne pouvaient que s’en emparer. Ce qui ne manqua pas d’arriver avec les poètes paradoxalement dits augustéens, alors qu’ils sont profondément, férocement, quoique clandestinement, anti-augustéens. Horace, par exemple (épode 7), cherchant la cause des guerres civiles qui dévastaient Rome à l’époque, et ne pouvant pas nommer le vrai coupable, fait semblant de remonter au déluge, c’est-à-dire au fratricide perpétré par Romulus sur son frère Rémus. L’application à Auguste ne requiert qu’un brin d’accoutumance à la cacozelia latens, un système d’écriture mis au point par ces agiles magiciens du verbe pour réussir à « dire l’interdit », selon l’expression de Thibault Deleixhe dans sa thèse récente à propos des romanciers tchèques et polonais sous l’occupation soviétique.

Autre exemple, quand Tibulle (élégie II, 5) et Ovide (élégie III, 6) évoquent le viol de Rhéa Silvia, la mère des jumeaux, attribué par la légende au dieu Mars, en insinuant secrètement que le violeur pourrait bien être plutôt son oncle Amulius, ils évitent ostensiblement, on s’en doute, d’établir un lien entre celui-ci et le dictateur Jules César, que le même lien familial unissait à Atia, mère d’Octave, mais ils encouragent par divers procédés le lecteur à le faire, jetant ainsi le doute sur la réelle filiation du futur empereur. Mais chut ! Sat prata biberunt.

Pour revenir à notre point de départ, les pierres demeurent muettes si les archéologues ne leur posent pas les bonnes questions. Il en va de même pour certains textes, que leurs auteurs, risquant la mort, ont dû enfermer dans une coquille protectrice : si les philologues n’y portent pas fermement la vrille de l’esprit critique, ces textes resteront comme d’éternels tombeaux devant lesquels on passe sans les voir.

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