Ainsi donc, à un an de la présidentielle, ce Président tellement à court d'idées s'en prend, en apparence, à l'école dont il est sorti. La motivation ? Très superficielle, comme d'habitude : la décision de supprimer l'ENA est bien une décision typique… d'énarque. Car sitôt supprimée, l'ENA (instituée fin 1945) sera remplacée par un nouvel Institut du service public (ISP) qui « formera tous les élèves administrateurs de l’État et intégrera un tronc commun à 13 écoles de service public ».

Selon Emmanuel Macron, c’est « une révolution profonde en termes de recrutement » dans la fonction publique. L’ISP devra « sélectionner des profils moins déterminés socialement ». Derrière le vocabulaire gauchisant à la mode, il s'agit de courtiser des jeunes électeurs ayant un moindre niveau en leur promettant monts et merveilles. Une politique de quotas sociaux ou ethniques qui ne dit pas son nom. Et, bien entendu, qui affaiblira encore le niveau, notamment en abaissant ou supprimant les formations et épreuves de culture générale (perpétuant le « privilège blanc » ?). Macron fait sienne la légendaire formule cynique tirée du Guépard : « Si nous voulons que tout reste pareil, il faut que tout change. »

Dans son ouvrage L'Étrange Défaite, le normalien Marc Bloch, grand médiéviste, héros des deux guerres et de la Résistance, analysait à chaud les causes de la débâcle de 1940, avant d'être martyrisé et tué par les Allemands. Pour lui, c'était la chaîne du commandement qui en était responsable, et la cause de ce comportement minable des élites, avant et pendant la guerre, c'était le formatage dans le moule des grandes écoles : il réclamait déjà leur suppression.

Le vrai problème de l'ENA, c'est d'abord que beaucoup de ces jeunes gens qui sont formés pour servir l'État veulent le pouvoir politique. C'est un dévoiement. Il suffirait que leur statut le leur interdise : le diplômé doit servir l'État, et s'il le sert, il ne peut le diriger ou se présenter à des élections pendant des années. Ajoutons que la formation a beaucoup perdu de son niveau d'antan : affaissement de la culture générale, copinages et surtout une très insuffisante formation à la dialectique (maîtrise du raisonnement) et au patriotisme. Or, dans le projet de Macron, non seulement aucun de ces défauts ne sera corrigé, mais ils seront encore aggravés.

Des critiques analogues peuvent être dirigées contre tout le système instructionnel français, de l'école au supérieur et aux grandes écoles. Le blablatage mémoriel et le brio factice y sont favorisés. On fait Polytechnique et on peut devenir économiste et pas ingénieur ; la science économique est envahie par les maths pour le pire. La médecine ? Des médecins à l'ancienne m'ont avoué leur honte de voir, tous les soirs depuis un an, des médecins se disputer dans les médias, s'insulter ou se poursuivre devant le Conseil de l'ordre au sujet de la pandémie. On peut devenir professeur du supérieur sans thèse. Quant à l’École de la magistrature, elle délivre le permis de jouir, à vie, de l'irresponsabilité que confère le statut de juge, soit pour faire du mauvais droit, de l’abattage propice au carriérisme, soit pour régler des comptes politiques ou parfois trouver l'intérêt personnel ou celui de réseaux, alors que la fonction judiciaire - appliquer la loi, toute la loi, rien que la loi - est essentielle pour préserver l'harmonie dans la Cité.

Ce n'est pas de réformes que la France a besoin. Depuis cinquante ans, chaque nouveau Président prétend placer sa candidature sous ce mot creux, mais d'une très grande et radicale révolution. Si, en 2022, elle ne se fait pas pacifiquement, elle se fera violemment.

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09 avril 2021 à 22:01

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