Ce 4 septembre, au Panthéon, le Président Macron a commémoré en grande pompe le 150e anniversaire de la restauration de la République, qui a comblé le vide institutionnel causé par la capitulation de l’empereur. L’occasion, pour notre communicant en chef, d’un énième exercice solennel d’amalgames idéologiques et de raccourcis historiques.

La Troisième République n’est pas issue d’un processus consenti de maturation politique d’un peuple, événement « nécessaire » dans le sens où il n’en aurait pas été possible autrement, mais plutôt de circonstances « contingentes » récupérées par des personnalités ambitieuses portées par des intérêts opportunistes. L’arrivée fulgurante de Macron au pouvoir en est une récente illustration.

On ne peut affirmer, par uchronie, quelles auraient été les conséquences politiques d’une victoire militaire française à Sedan. Or, la réécriture simplificatrice et officielle de l’avènement de la IIIe République ne correspond pas à sa réalité historique. L’historien Alain Corbin, spécialiste reconnu du XIXe siècle, relate, dans Le Village des cannibales, les circonstances du supplice d’un aristocrate, en août 1870, par une population manipulée par la bourgeoisie rurale. Contrairement à la lecture marxiste répandue, belle mais fausse, de l’invention par la base d’une démocratie vertueuse, ce drame est représentatif de la sauvagerie de masses fidèles au régime impérial contre toute personne suspectée de ralliement à la cause républicaine.

De nos jours, une majorité de citoyens y voient le moins mauvais des systèmes politiques. Or, ce cadre ne garantit pas de soi la qualité de son contenu ni la vertu de ses valeurs. Pas plus que l’apparente forme démocratique ne garantit le respect réel de ses citoyens, comme le montrent de nombreuses républiques corrompues, bananières, totalitaires. C’est ce qui faisait dire au philosophe Alain que la démocratie n’est pas que le gouvernement du peuple par le peuple, mais aussi la surveillance du gouvernement par les citoyens. Le pouvoir ayant toujours des tendances despotiques, on doit exercer sur lui une surveillance vigilante et constante – cf. les lois liberticides adoptées ou en gestation sous l’administration au pouvoir.

Adepte zélé du matérialisme mondialisé, Macron a assimilé la République avec les valeurs prétendument sacrées de liberté, d’égalité et de fraternité. Or, ces valeurs humaines ne suffisent pas à constituer l’âme d’une nation. Et l’état actuel de désagrégation de la société française démontre qu’on ne peut attendre d’adhésion réelle de communautés de souche ou d’adoption à une nation dont on ne définit pas clairement l’identité profonde.

Il s’agit, en l’occurrence, des racines chrétiennes de la France que contestent d’autres religions sacrées et profanes incompatibles et invasives, que le principe étendu de laïcité devrait contenir – islam politico-religieux conquérant, changement progressiste par rupture sans progrès, multiculturalisme hostile à une France traditionnellement multiethnique mais assimilatrice, égalitarisme illusoire et délétère.

Ainsi, déclarer comme l’a fait Macron qu’être Français n’est pas réductible à « une part de la France » mais impose d’en accepter « la totalité » ne signifie rien. Pire : cette source de graves tensions, à force de sous-entendre une chose et en même temps son contraire, mène à une nouvelle tour de Babel.

Plutôt que de dénoncer « une société du commentaire » pour justifier son manque d’autorité, qu’il interprète comme un « changement anthropologique » inévitable, Macron devrait méditer les propos du philosophe Merleau-Ponty dans Humanisme et Terreur : « L’homme public, puisqu’il se mêle de gouverner les autres, ne peut se plaindre d’être jugé sur ses actes dont les autres portent la peine, ni sur l’image souvent inexacte qu’il donne de lui […] Acceptant, avec un rôle politique, une chance de gloire, il accepte aussi un risque d’infamie, l’une et l’autre imméritées. »

Ainsi, hors circonstances exceptionnelles, l’élection d’un Président n’est jamais une nécessité ni une fatalité historique. À nous d’en faire une simple contingence politique, convaincus que nous faisons autant l’Histoire que celle-ci nous fait.

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06 septembre 2020 à 11:18

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