Procès Servier dans l’affaire du Mediator™ : se payer un « not so big pharma »

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Remarque liminaire : commenter une décision de justice est un exercice à risque. Il faudrait disposer d’une double expertise juridique et, dans le domaine de la chose jugée, s’astreindre à maîtriser le dossier d’instruction, décortiquer les minutes de l’audience et tous les attendus du verdict. C’est lourd et compliqué. Mais parce que nous sommes tous des justiciables dans un monde en voie de judiciarisation compulsive, nous devons tous être sensibles à la responsabilité qu’induit chacun de nos actes et regarder et tenter de comprendre le paysage judiciaire de notre pays.

Victoire d’étape pour les plaignants : en première instance, au terme d’un marathon, les laboratoires Servier sont reconnus coupables de « tromperie aggravée et d’homicides et blessures involontaires ». L’ex-numéro deux du groupe Jean-Philippe Seta écope d’une peine de quatre ans de prison avec sursis. D’autres peines de prison avec sursis frappent des cadres et des experts de l’Agence nationale de sécurité du médicament. Le laboratoire, l’ex-dirigeant et l’agence publique sont condamnés à des amendes pour plus de trois millions d’euros. Les plus de 6.500 parties civiles devraient se partager 180 millions de dommages et intérêts, quand un milliard était demandé.

Un verdict devrait apporter des réponses, et il y en a beaucoup, mais il subsiste, de mon point de vue, quelques questions.

La présidente, dans sa lecture du jugement, a mis en exergue la contribution de cette piteuse affaire à la perte de confiance des Français envers leur système de santé. Faut-il le déplorer ? Si (je suis tenté d’écrire « puisque ») notre système de santé est indigne de confiance, ne vaudrait-il pas mieux être lucide et mesurer chichement cette confiance et ne l’accorder que de façon opportuniste, au cas par cas ?

Le volet financier du jugement peut décevoir. En 33 ans, Servier aurait engrangé 400 millions d’euros de bénéfices avec le Mediator™. Avec des dommages à hauteur de 180 millions, et même majorés des amendes et frais d’avocats, le Mediator™ reste une bonne affaire. Est-ce moral ? Faut-il pour autant rêver de la démesure des amendes et des indemnisations qui se pratiquent outre-Atlantique ?

Certains déploreront que les cols blancs échappent, comme souvent, à la prison grâce au sursis. Par contre, il est satisfaisant de constater que la cécité (volontaire et rémunérée ?) des personnes en charge de l’autorisation du Mediator™ soit sanctionnée. Cela pourrait-il servir de signal d’alarme aux divers toubibs accablés de conflits d’intérêts en tout genre qui pérorent sur les plateaux de télévision et répandent au vulgum pecus cette doxa qui sert si bien leurs commanditaires en ces temps de crise sanitaire ?

La Justice se paie un laboratoire pharmaceutique pour qui l’esprit de lucre a prévalu sur la santé de ses clients. Ce n’est cependant pas un mastodonte mondial, et le jugement peut sembler timide. Quand un juge osera-t-il imposer le démantèlement complet et la liquidation d’une entreprise qui, pour engranger des bénéfices conséquents, aura commis des crimes ou des délits ?

Le ministère public, les accusés et les parties civiles peuvent, bien sûr, faire appel. La suite au prochain épisode.

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