Les Français observent, stupéfaits et inquiets, l'étiolement de l'antique démocratie britannique. De plus, ils sentent que l'avenir du « système de Bruxelles » - qui a peu à peu évincé le beau traité de Rome – est remis en question. Que se passe-t-il exactement à 30 km des côtes françaises ? Il y a trois ans, les Britanniques ont décidé par référendum de quitter l'Union européenne. Mais, depuis trois ans, de piètres négociateurs, Theresa May et Michel Barnier, avaient trouvé plus de problèmes aux solutions que l'inverse. En vérité, l'un comme l'autre étaient opposés au Brexit, redoutant un délitement progressif du système de Bruxelles. Ils furent bien aidés, il est vrai, par la Chambre des communes dont les votes incohérents sur les accords de sortie proposés par leur gouvernement suscitent l'ironie, la honte, la lassitude, la colère de l'opinion publique. Cette opinion est travaillée par toutes sortes d'influences, souvent étrangères ou bruxelloises, qui excitent des manifestations de « remainers » en faveur d'un nouveau référendum.

Dans une vraie démocratie (sauf fraude), quand le corps électoral s'est prononcé, on ne revote pas. C'est un principe juridique fondamental évident, mais il a été violé à plusieurs reprises, toujours sur des prétextes bruxellois : on a ainsi fait « revoter » les Irlandais, les Néerlandais, les Danois jusqu'à ce qu'ils votent « bien », comme on le leur demandait, afin, sans doute, de ne pas passer pour de « mauvais élèves, extrémistes, passéistes, nationalistes, xénophobes, égoïstes, repliés, frileux », etc., « mettant la paix et la prospérité en danger »... Quant aux Français - dont les politiciens redoutent leur goût pour la liberté -, pas question de les faire revoter : on fit donc adopter en Congrès le traité de Lisbonne, fac-similé de la « Constitution européenne » : un double coup d'État institutionnel.

Après l'échec interminable de Theresa May, succès fulgurant de Boris Johnson. Auréolé de sa réputation de bon maire de Londres, « BoJo » emménage à Downing Street et promet que le Brexit se fera, avec ou sans accord, le 31 octobre 2019. Terreur sur le continent, notamment à Paris, à l'autre bout du tunnel. Quelle est la part de bluff ? Toujours est-il que le plan Johnson est approuvé à l'unanimité par les 27 pays (y compris l'Eire) à la mi-octobre. Second succès. Au pas de charge, BoJo soumet l'accord arraché aux Européens à la Chambre des communes, avec un argument implicite : mon accord ou le chaos. Mais, premier contretemps, le samedi 19, se fondant sur les règles de fonctionnement des Commons, les MP [members of Parliament = députés, NDLR] votent à une courte majorité une motion dont le but est d'en savoir plus sur les lois qui traduiront les termes de l'accord de Brexit. BoJo revient lundi 21 à la charge pour un nouveau vote, mais John Bercow, le Speaker (président) de la Chambre s'y oppose (Bercow avait déclaré qu'il démissionnerait en cas de Brexit). Son argument ? Une règle du XVIIe siècle qui déclare “repetitive and disorderly to put the same issue before the Chamber a second time” (répétitif et désordonné de poser la même question une seconde fois). Pour quelqu'un qui est favorable à un second référendum sur le Brexit, cela ne manque pas de sel.

Peut-on ainsi piper le débat alors que l'Europe entière a entériné l'accord et attend ? Cette objection ne vaut rien : en effet, le manuel officiel des procédures parlementaires définit ainsi l'antique règle : “An amendment which is the same, in substance, as a question which has been decided [...] may not be brought forward again.” Bercow est-il mauvais juriste et/ou de mauvaise foi ? Car rien n'a été décidé samedi quant au fond mais seulement une motion suspendant le vote final à plus d'explications. Explications fournies par les 200 juristes qui travaillent au Brexit. Il ne manquait à BoJo qu'un basculement de 10 voix, par exemple celles des 10 députés nord-irlandais de sa majorité. Or, aucun député n'a eu envie de revenir aux urnes se frotter à ses électeurs. Le gouvernement a déposé, lundi soir, la loi sur la sortie de l’Union européenne (“Withdrawal Agreement Bill-WAB”, 110 pages plus les annexes), qui traite de tous les aspects de la rupture. Ce texte vient d'être voté ce mardi à 20 h 30 par 329 voix contre 299 : un nouveau beau succès. En revanche, les députés ont demandé un peu plus de temps que trois jours pour examiner le détail des mesures et ont refusé le “Programme Motion”. Mais BoJo a fait les trois quarts du travail ; et il lui reste neuf jours. Hip Hip Hurrah!

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 09/01/2020 à 20:09.

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23 octobre 2019 à 10:05

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