Festival d’Avignon : le plaisir renouvelé du théâtre populaire

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Si le festival in d’Avignon peut apparaître comme institutionnel, le off est l’occasion de découvrir des pépites. Sélection des meilleures pièces vues par la rédaction.

Fondé en 1947, le festival d’Avignon est la manifestation de spectacle vivant la plus importante au monde. Au lendemain de la guerre, Jean Vilar a l’idée de le lancer dans une ville qui a profondément souffert des bombardements alliés de 1944. Simple semaine d’art dramatique au début, le festival remporte de plus en plus de succès et s’allonge jusqu’à durer trois semaines, permettant à de nombreux comédiens de se faire connaître. En 1966, le festival off se crée pour permettre à davantage de compagnies de se produire.

En 2023, on compte une trentaine de spectacles du festival officiel (in) pour 1.500 pièces du off, qui durent du 7 au 29 juillet. Si le in est parfois critiqué pour sa dimension institutionnelle, peu accessible et chère, le off - qui, lui, est largement autofinancé, contrairement au festival historique - connaît un succès qui tient à la grande diversité des spectacles proposés. C’est l’occasion pour les compagnies de présenter leurs dernières créations au grand public et de se faire repérer par des producteurs afin que leurs pièces tournent, l’année qui suit, dans toute la France. Souvent, les comédiens sillonnent, costumés, les rues d’Avignon - dont les murs sont eux-mêmes tapissés d’affiches - à la rencontre du public afin de communiquer sur leurs spectacles et de tracter. Cela donne lieu à des échanges, même brefs, entre les acteurs et les spectateurs.

À la fin des pièces, un même message que les comédiens adressent au public : « Merci d’être venus voir la pièce, si vous l’avez aimée, n’hésitez pas à en parler autour de vous, vous êtes nos meilleurs alliés pour remplir nos salles. » C’est là que réside la vraie dimension populaire du festival, sur cet échange entre les comédiens et leur public, sur l’adhésion de ce dernier à l’art qui lui est proposé et non sur une sélection effectuée par la critique officielle ou des comités divers distribuant des subventions. Même s’il représente une prise de risque financière pour les compagnies qui y participent, le festival off demeure une belle occasion de se faire connaître et d’avoir des retours critiques en direct d’un public curieux et ouvert aux surprises. Véritable bain culturel et artistique durant trois intenses semaines, le festival d’Avignon continue d’incarner la force vibrante du spectacle vivant.

La sélection de la rédaction

Une soirée chez Offenbach

Au théâtre des Corps Saints, le compositeur Offenbach est à la fois personnage et compositeur de la bande originale du spectacle écrit et mis en scène par Martin Loizillon. Offenbach, campé par le baryton Nicolas Rigas, voit débarquer chez lui une princesse échevelée qui semble autant lui faire la cour qu’à son valet Justin. S’ensuit une kyrielle de rebondissements, ponctués par des airs chantés par les trois personnages de l’opérette, qui sont accompagnés au piano par Marie-Christine Goueffon déguisée en soubrette. Les personnages sont aussi bons dans leur jeu scénique comique que dans leurs prestations vocales enlevées. C’est un plaisir de découvrir ou de réentendre des airs d’Offenbach, insérés fluidement dans une histoire qui redonne ses lettres de noblesse à un genre populaire.

La vendita dell’aria

Le triomphe d’Arlequin

Ces deux pièces sont portées par deux compagnies d’anciens élèves de l’Académie internationale des arts du spectacle (AIDAS) de Versailles. Elles ont pour point commun de s’appuyer sur les ressorts de la commedia dell’arte et de rassembler un public populaire. Les jeunes comédiens enchaînent les rebondissements, entre farces, quiproquos, duels, histoires d’amour et mariages forcés, avec humour, fraîcheur et générosité, en faisant participer le public. Jouées dans la cour du Barouf, en plein air, sur des tréteaux, ces deux pièces ont le mérite de renouer avec un théâtre accessible et grand public. Les élèves de l’AIDAS proposent par ailleurs, au même endroit, une jolie pièce poétique adaptée des Enfants du paradis de Marcel Carné : Les Amants du paradis.

Métro, boulot, aristo

Au théâtre Le Vieux Sage, Violaine de Pins, 23 ans, présente un seul en scène de 50 minutes sur un sujet qui tranche avec les thématiques habituelles du festival. La jeune femme le clame haut et fort, elle n’est pas de son époque et vient d’un milieu qui vit dans le passé : l’aristocratie. Férue de lettres, de latin, de grec et d’opéra, elle ne comprend rien à Aya Nakamura ou à Booba. Qu’on soit ou non familier de ce milieu, on goûte la plume élégante de Violaine de Pins, qui fait preuve d’autodérision et d’humour, entre deux saillies sur les « Charles-Alphonse du Fermoir de mon sac », la dimension mariolle du pouvoir macronien, et les vieux qui doublent dans la file de l’opéra. Cet art de la formule et du jeu de mots se mâtine de plusieurs tours de chant réussis, entre sa « génération très dépassée », du chant lyrique et un rap final au débit impressionnant. Une jolie première à Avignon.

Heureux les orphelins

Inspirée d'Électre de Jean Giraudoux, cette pièce de Sébastien Bizeau jouée au théâtre de l’Oriflamme propose au spectateur une réflexion contemporaine sur la portée du langage et des non-dits. Électre et son frère Oreste, conseiller ministériel, surveillent la progression de la maladie de leur mère Clytemnestre, plongée dans le coma. Électre, assoiffée de vérité et de justice, tente de faire la lumière sur la mort de son père, vingt ans plus tôt. Oreste, accablé par un travail absurde, dissimule mal l’inaction et les mensonges politiques d’un gouvernement dominé par les rapports de force à Bruxelles. Quant à Égisthe, patron d’un restaurant qui prospère sur les ruines du droit social, il peine à cacher son avidité et sa fourberie. Cinq comédiens au jeu puissant alternent le registre tragique et des pointes comiques - mention spéciale à Jean-Baptiste Germain, qui joue plusieurs rôles dont celui du ministre, fournissant une prestation plus vraie que nature, tant dans les mimiques que dans les mots, de langue de bois et de verbiage politicien incompréhensible.

Le Village de l’Allemand

La compagnie des Asphodèles du Colibri adapte au théâtre des Carmes le roman de Boualem Sansal et donne du coffre aux deux gros sujets sensibles du texte : la binationalité franco-algérienne et le rapport à la Shoah. Les narrateurs sont deux frères nés de mère algérienne et de père allemand. Élevés par un oncle et une tante immigrés affectueux dans une cité de la banlieue parisienne, ils voient rarement leurs parents restés dans leur village d’Aïn Deb. En 1994, le GIA massacre une partie de la population du hameau, dont les parents. Endeuillés, les fils découvrent de surcroît que leur père, respecté comme moudjahid en Algérie, était un ancien nazi. Deux comédiens incarnent les deux frères, Malrich et Rachel (contraction originale de Malek Ulrich et Rachid Helmut), tandis que quatre autres comédiens endossent tout à tour et avec fluidité les rôles des jeunes de cité, du policier, de la femme de Rachel ou encore des habitants du village algérien. La pièce explore avec force le rapport à l’identité, à la filiation, à l’héritage et à la responsabilité. On est à la fois séduit par l’histoire et par la performance vigoureuse des comédiens.

Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée

Donnée au théâtre de l’Essaïon, la pièce est composée de deux parties, La Clef du grenier d’Alfred, écrite par Isabelle Andréani, et la pièce-titre d’Alfred de Musset, jouée dans son intégralité. En 1851, la servante et le nouveau cocher d’Alfred de Musset se retrouvent dans son grenier à la recherche des harnais du coche (qu’ils ne trouveront jamais), prétexte à la découverte des textes du maître. Le duo ancillaire est féru de théâtre et joue Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée, se déclarant ainsi leur amour. Le dispositif de théâtre dans le théâtre est efficace, et le jeu amoureux du couple alternativement touchant et drôle. Le spectacle est porté par deux comédiens brillants, Michel Laliberté en amoureux fougueux et entreprenant, et Agathe Quelquejay qui, de servante ingénue dans la première partie, devient marquise ingénieuse dans la seconde, avec des expressions au croisement de Juliette Binoche et d’Audrey Tautou.

Eléonore de Vulpillières
Eléonore de Vulpillières
Journaliste indépendante

Vos commentaires

3 commentaires

  1. On parle de Birkin, non sans raison, en terme de bobo gauchiste, mais le festival d Avignon est leur réunion annuelle… créé soit disant pour « compenser » le sort qui fut le sien lors de la guerre… d autres villes ont été rasées Caen,le Havre etc mais elles sont au nord elles donc, mourrez en silence svp. Quand au théâtre, le off? Oui, parfois… mais ça reste très connoté bobo Avignon ne vous en déplaise…

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