[Chronique] Erdoğan à Vilnius : marchand de tapis ou maître chanteur ?

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L’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) s’est réunie à Vilnius, le 12 juillet. À l’ordre du jour, l’adhésion de la Suède à l’OTAN et les perspectives ouvertes à l’Ukraine. Les médias ont entretenu un faux suspense à ce propos car, dans l’état actuel des textes, aucun pays en état de guerre ne peut adhérer à l’organisation car ceci entraînerait l’entrée en guerre de l’Alliance dans son ensemble.

Plus hasardeuse était la question de l’adhésion de la Suède, qui décidait ainsi de rompre avec une tradition de neutralité remontant à la fin des guerres napoléoniennes. Ces deux siècles de neutralité ont fait oublier que la Suède fut une grande puissance militaire et politique européenne. C’est la défaite du roi Charles XII contre la Russie de Pierre le Grand à Poltava, en Ukraine, qui mit fin, en 1709, à l’Empire suédois qui s’étendait sur la Finlande et une partie des pays baltes (Livonie et Estonie) et faisait de la Baltique un lac suédois.

Les Américains ignorent généralement que l’Histoire dure longtemps et l’adhésion de la Suède à l’OTAN ne peut que réveiller de vieux souvenirs en Russie qui, indubitablement, y verra une étape de plus dans l’enserrement de son territoire par les États-Unis et ses États vassaux sur le plan militaire. Cet encerclement, qui pourrait s’étendre à la Géorgie et à la Moldavie, pourrait être très risqué s’il poussait la Russie à n’avoir d’autre choix qu’une victoire à tout prix contre l’Ukraine. Ce qui, de la part d’un pays doté d’un formidable arsenal nucléaire, a de quoi inquiéter.

Dans cet environnement périlleux, Erdoğan met à profit son pouvoir de blocage dans l’OTAN. En effet, toute nouvelle adhésion ne peut être décidée qu’à l’unanimité. De fait, elle a commencé par s’opposer à l’arrivée de la Suède, considérée par Ankara comme trop favorable aux Kurdes et aux exilés du PKK. Juste avant son départ pour Vilnius, Erdoğan y a ajouté une nouvelle condition : la réouverture des négociations d’adhésion à l’Union européenne. Deux dossiers évidemment distincts mais joints pour « tordre le bras » de l’UE. On sait que l’homme est un habitué de chantage politique. L’UE l’a appris à ses dépens pour les réfugiés du Moyen-Orient.

En fin de compte le président turc a annoncé qu’il levait son opposition à l’entrée de la Suède dans l’OTAN. Tout cela a été l’occasion d’illustrer une nouvelle fois la guérilla institutionnelle à laquelle se livrent la présidence du Conseil européen et la présidence de la Commission. Celle-ci a aussitôt déclaré que l’adhésion relevait d’un processus très encadré et que les conditions n’étaient pas remplies. Charles Michel, au contraire, a affirmé qu’il souhaitait « redynamiser » les relations entre la Turquie et l’UE ! Formule certes vague mais néanmoins signe adressé au nouveau sultan.

Le plus invraisemblable est que l’on ait osé ouvrir les négociations en 2004 alors que la Turquie occupe le tiers du territoire d’un État membre qu’elle ne reconnaît pas comme État : Chypre ! Sans omettre le refus obstiné de reconnaître le génocide des Arméniens et des Syro-Caldéens. Auquel les Kurdes avaient largement participé, soit dit en passant.

Une insistante petite musique persiste dans les chancelleries pour pousser à l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne, alors même que les opinions publiques y sont opposées. Derrière des raisons économiques et éventuellement géostratégiques, il s’agit d’une position irresponsable car la Turquie, avec 80 millions d’habitants à plus de 80 % sunnites, deviendra rapidement le pays le plus peuplé de l’Union européenne. Or, nous savons que les Turcs font partie des populations qui s’intègrent le moins en Europe. M. Erdoğan a même qualifié l’assimilation de « crime contre l’humanité » (Cologne, février 2008). Rappelons que ce personnage est compagnon de route des Frères musulmans dont le point 5 du « credo » énonce : « Je crois que le drapeau de l’islam doit dominer le monde et que le devoir de tout musulman consiste à éduquer le monde selon les règles de l’islam… »

L’Union européenne, instrument du mercantilisme mondialisé, sous-estime toujours la dimension civilisationnelle de la géopolitique pour ne considérer que les données économiques dans un douteux alignement sur les USA. Vouloir faire entrer la Turquie dans l’UE, c’est faire entrer le cheval de Troie dans la Cité. L’inconscience frise parfois la trahison.

Stéphane Buffetaut
Stéphane Buffetaut
Chroniqueur à BV, élu de Vendée, ancien député européen

Vos commentaires

33 commentaires

  1. « Vouloir faire entrer la Turquie dans l’UE, c’est faire entrer le cheval de Troie dans la Cité. » Savez-vous de combien de bases militaires dispose l’OTAN en Turquie? Suffisamment pour le retour d’ascenseur, l’intégration d’Ankara, auquel on ne pourra échapper tant que nous serons vassaux des Américains.

  2. On ne peut pas en vouloir à Erdogan de jouer le jeu de la Turquie, pas plus qu’au USA de pratiquer l’ « américa first »,il faut en vouloir aux pays européens, de ne pas protéger les pays européens de ces manoeuvres qui nous aliènent.

  3. Pour une fois je dis que la Pdte de la Commission, a BIEN REAGI. Par contre la réponse apportée par Charles Michel n’EST PAS DU TOUT ADAPTEE aux interêts de l’U.E….

  4. Cohabiter avec lui ? Jamais. Mais comme c’est Biden qui commande l’UE, le Turc y accédera pour favoriser l’accès en Mer Noire à l’armée américaine contre la Russie. C’est juste le moment du Frexit et de la neutralité comme la Suisse ou bien de la soumission à la guerre mondiale permanente. Et les mouille banquettes ne viendront pas se plaindre du désastre que subiront très vite les vrais jeunes Français . Parce que les autres bénéficiant de la double nationalité se défileront…

  5. La Turquie puis l’Albanie puis la Bosnie puis pourquoi pas (comme le préconisait un certain Morin intellectuel usé) « l’Etat palestinien ». On se fiche de nous. La Turquie n’est pas une nation européenne et n’a rien à faire dans l’UE. Quant à l’OTAN ennemie de Moscou, elle n’a besoin de la Turquie que comme base US pour isoler la Russie. Mais la Turquie est avant tout turque et se moque des Européens et des Américains. La Turquie sait bien mieux que nous que si elle fait un pas de travers mettant en danger la survie de la Russie elle sera rasée. Quant à la Russie quel que soit son dirigeant elle ne cédera rien pendant des siècles tant qu’elle n’aura pas un accès libre sur la Mer Noire et la Méditerranée ce qui implique que Sébastopol reste Russe et qu’Odessa et ses accès restent « neutres ni Russes ni Ukrainiens ». C’est difficile à entendre quand on a pris parti pour l’Ukraine contre la Russie. Notons qu’en France les médias russes ont été fermés mais qu’il existe encore une chaine TV française pro ukrainienne (en quelque sorte une Pravda kievienne (je la nomme pas sinon je vais être censuré).

  6. Je cite la fin du premier paragraphe de l’article par ailleurs excellent : « aucun pays en état de guerre ne peut adhérer à l’organisation car ceci entraînerait l’entrée en guerre de l’Alliance dans son ensemble ». La question qui vient immédiatement à l’esprit est ; qu’en est-il d’un pays qui fournit des armes à l’un des belligérants ?

  7. Cette adhésion serait défendable si l’UE avait une ligne politique claire (et appliquée) en matière de laïcité et de contrôle des flux migratoires. Dans ce cas, la Turquie serait (pour le moins) contenue, voire « maîtrisée ». Mais,quand on voit ce qu’est devenue cette organisation interétatique, sans aucune élection démocratique européenne (mis à part pour élire des députés dont le rôle exécutif fait pitié), cette perspective fait froid dans le dos. J’aurais plus confiance en l’intégration dans l’UE d’une Russie démocratique et laïque que d’une Turquie amicale avec l’Etat Islamique.

  8. L’entrée de la Turquie dans l’U.E. ferait que l’Europe verrait à jamais ses racines chrétiennes détruites, racines déja passablement gangrénées.

  9. Outre la puissance passée de la Suède il y eu également celle de la République des 2 nations (Pologne et Lithuanie) qui dura plus de 2 siècles, mordant abondamment sur la grande et la petite Russie, ce que la Russie actuelle ne peut avoir non plus oublié.
    Comme par hasard la Pologne fait partie des pays en pointe du soutien à Zélinski.

  10. 1789 a voulu éliminer la religion d’Etat, qui était la religion chrétienne dans sa version catholique.
    Chacun sait que les différentes civilisations se construisent sur la foi que pratiquent les peuples.
    En éliminant les chrétiens catholique, l’Etat français a ouvert un boulevard aux Musulmans !
    Que chacun se pose les questions nécessaires et comprenne devant quels choix se trouvent les nations européennes aujourd’hui.

  11. Combien de milliards a t’on déjà versé à la Turquie pour préparer son entrée dans la désunion européenne ? Ce pognon de dingue versé à fond perdu sera t’il bientôt l’argument pour accepter cette civilisation qui n’a rien à voir avec l’Europe au sein de cette union européenne ? Les dernières émeutes proférées par des bandes de barbares n’ont elles pas ouvert les yeux à nos ir-responsables ? La Turquie et après l’Algérie, l’Egypte, la Libye, etc. ? A moins que ce ne soient ces pays qui vont nous intégrer, ou plutôt nous « bouffer » ….

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