Cinéma : Bis repetita, quelle place pour le latin ?

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Que reste-t-il dans notre mémoire de l’enseignement du latin ? Quelques cours de civilisation, une ou deux déclinaisons : « rosa, rosa, rosam, rosae, rosae, rosa »… ainsi que le souvenir amusé d’un sentiment d’injustice, celle d’avoir écopé d’heures supplémentaires par rapport à d’autres camarades qui ne se sont jamais vu imposer cette matière par leurs parents.

Le latin – nous étions sans doute trop jeunes, au collège, pour nous en rendre compte –, c’était pourtant la possibilité, pour un futur littéraire, de mieux saisir l’origine des mots de la langue française, de s’inscrire dans un héritage culturel et d’ouvrir la voie à l’apprentissage de l’histoire antique. Accessoirement, le choix du latin était aussi un moyen de s’écarter définitivement du contingent de « wesh » toujours plus nombreux dans cet établissement de banlieue – motivation récurrente, ne nous leurrons pas, des parents qui choisissent cette option pour leur enfant.

Après la paix romaine, la paix sociale

Alors, tandis que tout le monde s’accorde à dire, un peu trop facilement de nos jours, que le latin « ne sert à rien », sort au cinéma une comédie légère et plutôt réussie qui entend remettre le forum au centre de la cité. Premier long-métrage d’Émilie Noblet, Bis repetita nous raconte l’histoire d’une prof de latin, en lycée, qui a baissé les bras depuis longtemps et renoncé à transmettre son savoir à ses élèves dont le nombre se réduit sans cesse au fil des ans. Désabusée, cynique, Delphine se contente de faire de la « garderie » dans sa salle et achète la paix sociale en décernant à tous un 19 de moyenne. Un marché gagnant-gagnant dont la proviseur, évidemment, ignore tout… Seulement, prise à son propre jeu, la prof voit un jour sa classe sélectionnée à un concours international de latin qui doit se tenir à Naples. De sa victoire dépendra le maintien ou non de cette option dans son lycée.

Encombrée du neveu de la proviseur, un thésard latiniste aux théories excentriques, Delphine s’engage alors dans cette mission-suicide avec ses cinq élèves et décide de tricher, sans se soucier le moins du monde de l’exemple qu’elle leur donne.

La faute aux profs ?

Amusant, pas trop potache et bien dosé en termes d’humour et de rythme, Bis repetita pose problème, malgré tout, sur le plan idéologique. Le message qui ressort en filigrane est que les profs de latin sont démissionnaires. Véritables boucs émissaires d’une société en voie de déculturation, ceux-là sont désignés comme les principaux responsables de l’impopularité de leur matière. Delphine ne croit pas un seul instant en ses élèves ; lesquels, nous dit-on, ne demandent pourtant qu’à s’intéresser aux langues mortes – discours éminemment naïf et à côté de la plaque.

La cinéaste nous dit en substance que les profs doivent se mettre au niveau des élèves pour éveiller leur intérêt… Finalement, la seule façon d’y parvenir passe par la modernisation de l’enseignement, à base de jeux et de chansons de Céline Dion traduites dans la langue des César. Non seulement la réalisatrice, sans forcément l’intellectualiser, entérine la mort de l’enseignement classique, mais elle admet indirectement ne pas croire en la jeunesse d’aujourd’hui et en sa capacité à emprunter le même chemin que ses aînés. Un état d’esprit défaitiste qu’elle prétend pourtant dénoncer chez Delphine.

Peut-être plus cruel encore, le latin n’est presque jamais mis en valeur au cours du récit. La cinéaste Émilie Noblet semble ainsi planter un dernier clou dans le cercueil de cette langue morte.

2 étoiles sur 5

Pierre Marcellesi
Pierre Marcellesi
Chroniqueur cinéma à BV, diplômé de l'Ecole supérieure de réalisation audiovisuelle (ESRA) et maîtrise de cinéma à l'Université de Paris Nanterre

Vos commentaires

15 commentaires

  1. Et sinon le fait que ce soit simplement un film sympa et agréable à regarder pour passer un bon moment.. ça ne vous effleure pas l’esprit ?
    Vous cherchez du poils aux oeufs

  2. Vanter les bienfaits de l’étude du latin et du grec, est-ce trahir les exigences de la formation de nos jeunes ? Comprendre, grâce à ces études, l’origine des mots, non seulement du français mais de beaucoup d’autres langues et pas seulement de l’espagnol ou de l’italien (sait-on que 50% du vocabulaire anglais vient du latin ?) est du même ordre que connaître les étapes de l’histoire de France (ou de l’Europe !). Bannir cet enrichissement culturel, intellectuel, grammatical, étymologique, c’est priver nos jeunes d’un capital qui permet de relier des connaissances dont, personnellement, j’aurais eu du mal à me passer, sans oublier les bienfaits de la gymnastique intellectuelle que développe l’étude des langues.
    Mais… les instructions pédagogiques actuelles semblent plus inspirées par le « Panem et circenses » que par le souhait de développer en chacun « mens sana in corpore sano ».

  3. Tristesse, quel gâchis !
    En supprimant l’enseignement des ‘humanités’, on prive la jeunesse d’une culture irremplaçable de l’HUMAIN… « Délenda est Carthago » !!…Qui n’y voit une similitude avec le  » il faut détruire…la Russie » (?)
    L’histoire ne se répète sans doute pas, mais les mêmes causes produisent certainement les mêmes effets : comprendre et remédier est à la portée de tout citoyen nanti d’une ‘culture humaine’.

  4. Désolé mais le latin, comme le grec ancien d’ailleurs, ne concernait pas que « quelques intellectuels », il concernait tous nos enfants pour justement leur faire mieux apprendre et comprendre le français; et sans le latin, on voit le brillant résultat aujourd’hui, ce même pour ceux qui se targuent d’avoir « fait des études ». Pour ceux qui se disent être les meilleurs, par exemple beaucoup des ouvriers de la plume ou du micro, les journalistes, leur vocabulaire utilitaire ne se résument aujourd’hui qu’à 1500 mots au grand maximum, les autres leur étant « trop savants ». Ah, s’ils avaient appris et conjugué le latin…….

  5. J’ ai étudié le latin et le grec ancien au lycée puis à la Sorbonne au milieu du siècle dernier ;quel plaisir de lire dans le texte les tragédies de Racine !

  6. Obligée d’être en section  »classique », je refusais cette ordre, et d’apprendre. Je le regrette maintenant….

  7. Ancien latiniste, je ne regrette pas. Mais on ne peut plus promouvoir le latin comme on le faisait à une époque ( utile pour tout: pour le Français comme pour les Maths, en passant par l’Histoire, etc). Vu le délabrement en cours de l’éducation scolaire (voire parentale) et vu la démission des institutions pour former à la citoyenneté, il aurait urgence à promouvoir directement la langue française (et les Maths et l’Histoire) d’abord, et à intégrer aussi d’autres et nouvelles disciplines, ou (pour le moins) à cibler le contenu des cours sur des thèmes vitaux : le Droit et ses lois, l’Histoire des religions et des guerres (et non celle des seuls rois de France ou d’ailleurs), l’Education Civique comme matière principale. Donc, dans une telle urgence, il est malheureusement inévitable que le latin soit un peu mis de côté (on a un peu le même phénomène avec la langue allemande)

  8. Tout est fait pour créer une génération d’analphabètes , les futures esclaves d’une classe dirigeante dans le meilleur des mondes.

  9. Evidemment, comme toujours, le photographe a pris un grand soin pathologique de mettre bien évidence, au beau milieu de la photo, deux Africains qui ne savent peut-être même pas dans quel pays le latin se parlait. Diversité oblige !

  10. quand je lis que ce sont les profs qui doivent se mettre  » au niveau de leurs élèves » pour enseigner leur matière déjà je sais que je n’irais pas voir ce film – Enseigner c’est  » élever intellectuellement » tirer vers le haut, pas descendre dans le fond de la poubelle sociétale – Mais oui ce doit être désespérant d’enseigner à des individus qui déjà ne maitrisent pas les fondamentaux de leur propre langue !

    • Il est pourtant évident que les enseignants doivent se mettre au niveau de leurs élèves pour les faire progresser. On ne peut pas faire efficacement un cours sans prendre en compte le niveau de l’auditoire.

  11. Et bien comment dire … cette théorie de sur-noter les élèves n’est ce pas une pratique plus qu’utilisée par toute la hiérarchie de l’éducation nationale au niveau collège, lycée, académie et ministère pour gonfler articules réussite aux examens et diplômes …

  12. J’ ai étudié le latin et et grec ancien quand j’ étais au lycée puis à l’ université ,j’ en garde un souvenir merveilleux :traduire les tragédies de Sophocle dans le texte est un plaisir intellectuel incomparable !

Commentaires fermés.

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