« La droite doit se doter d’un discours crédible, cohérent, rassembleur »

Vous invoquez l’impérieuse nécessité d’une « révolution conservatrice ».

Et je ne suis pas le seul ! Le succès du Dictionnaire du conservatisme - sous la direction de Frédéric Rouvillois, Olivier Dard et Christophe Boutin – témoigne de l’engouement pour cette notion qui a eu, si longtemps, bien mauvaise presse dans notre pays. Quant à moi, je parlerais plus volontiers d’une sensibilité, d’un état d’esprit conservateur. À ne pas confondre avec une défense, une conservation des intérêts égoïstes des uns et des autres. Ce conservatisme émancipateur, révolutionnaire, que j’appelle de mes vœux, se décline de mille façons. C’est, par exemple, la défense du petit commerce de proximité contre les grandes surfaces, du bio contre l’agriculture intensive, d’une certaine frugalité contre un consumérisme à tout crin, des communautés locales contre le mondialisme. Si la nostalgie ne peut tenir lieu de programme, s’il ne s’agit pas de défendre, ici, un conservatisme d’arrière-garde, il est temps de réaffirmer que l’homme s’inscrit dans une histoire, que tout n’est pas possible, que toutes les conduites ne se valent pas, qu’il faut mettre davantage l’accent sur les devoirs que sur les droits.

Tout cela n’est pas révolutionnaire mais bel et bien réactionnaire.

Bien sûr que non ! Il ne s’agit pas de regretter le passé – allez donc dans un hôpital et vous me direz si le progrès en matière de santé n’existe pas… - mais de faire preuve de prudence face à des nouveautés qu’on nous présente comme forcément positives, souhaitables, enviables. Je pense, par exemple, qu’on peut en finir avec l’obsession de la croissance et être plus raisonnable sur les terrains écologique comme économique. Qu’on se doit de mettre au centre de tout projet politique la mise en partage de la chose commune, l’identité, la continuité historique comme culturelle, le sens de l’autorité, une certaine philosophie de l’autonomie. Il en va, sans exagération aucune, de notre avenir en tant que société. Et c’est notre devoir. C’est Albert Camus qui disait : "Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse." D’une actualité brûlante…

En quoi ce conservatisme pourrait-il nous aider sur le terrain politique ?

Je suis persuadé que cette notion de conservatisme – intimement liée, à mon sens, à une approche girondine de la chose publique – est la seule qui puisse aujourd’hui fédérer les droites. Si on transpose à ces droites ce que dit le sociologue Christophe Guilluy à propos de la victoire des nationalistes en Corse, on peut affirmer qu’il n’y aura pas de victoire de notre camp si nous ne sommes pas capables de nouer des alliances entre la France d’en bas, l’électorat populaire, et le monde d’en haut, le monde intellectuel, médiatique, économique. Ce que n’a jamais réussi le Front national. Et ce que la droite classique n’a plus été capable de réaliser ces dernières années. C’est notre pari. Si nous n’arrivons pas à tisser ces liens, à construire ces passerelles, nous laisserons le champ libre, et pour longtemps, à M. Macron, incarnation quasi parfaite de cette France d’en haut, de cette France des métropoles, de cette France des sans-souci, à l’opposé des « sans-dents » de François Hollande, de ces élites néolibérales qui méprisent l’identité nationale.

Les droites en ont-elles conscience ?

C’est tout le problème ! Quand je lis sous la plume d’un responsable du FN, à peine M. Wauquiez installé à la tête des Républicains – à l’issue d’une mobilisation importante de ses militants, il faut bien le dire -, que ce dernier est "fondamentalement et intrinsèquement un européiste zélé et à l’opportunisme notoire, dont la fermeté et le semblant d’authenticité ne sont jamais que stratégiques", je ne peux m’empêcher de me dire que c’est mal parti pour que les uns et les autres travaillent ensemble ! Or, il va bien falloir s’y mettre si nous voulons un jour arriver au pouvoir pour « changer la vie »…

On ne peut pas dire que Laurent Wauquiez y mette du sien.

Vous avez bien raison ! Il ne cesse de montrer patte blanche, d’en rajouter une couche dans la diabolisation du Front national. Il faut dire que les médias sont là qui s’érigent en arbitres des bonnes et des mauvaises manières, toujours prêts à jouer les donneurs de leçons de morale. Il serait temps que nos élus prennent la mesure du discrédit de ces médias et, à la manière d’un Trump, cessent de les caresser dans le sens du poil. M. Wauquiez en a-t-il seulement l’envie, sans parler du courage, de l’audace nécessaires ? S’il n’a pas la capacité de s’opposer au rouleau compresseur du médiatiquement correct, on peut, en effet, être pessimiste sur la possibilité de voir nos droites faire les compromis nécessaires à leur arrivée au pouvoir.

À moins que M. Wauquiez, à la manière d’un Nicolas Sarkozy, n’aille chasser sur les terres frontistes et ne mette la main sur les électeurs dont il aura besoin pour gagner en 2022.

Je ne crois pas un instant que le scénario de 2007 puisse se reproduire. Quoi qu’en pensent nos élites parisiennes, le peuple apprend. Il a de la mémoire et ne se laissera pas embobiner une nouvelle fois. La sincérité, ça existe ! Et ça se voit !

Et en attendant, on s’assied et on compte les points ?

Qui vous a dit cela ? Tout au contraire, on retrousse nos manches. Il nous faut convaincre nos intellectuels de nous aider à y voir plus clair, de regarder le monde et sa marche au prisme de ce conservatisme révolutionnaire. Il nous faut en appeler à tous ceux qui, sur le terrain, s’emploient à mettre en œuvre, ici et maintenant, des alternatives en matière d’école, de médias, d’œuvres caritatives, d’ONG de solidarité internationale, d’entreprises coopératives, d’écologie… Il nous faut, enfin, contraindre nos politiques à voir un peu plus loin que leurs intérêts d’appareils…

Mais il y a, d’ores et déjà, une première échéance avec les élections européennes de 2019.

Et un nouveau piège tendu par M. Macron ! Si nous n’y prenons garde, il va nous enfermer dans le rôle des ennemis de l’Europe qui, pour concurrencer M. Mélenchon, iront toujours plus loin dans la caricature des « européistes » - quel horrible mot. Nous avons tout à y perdre, même si quelques apparatchiks ont quelques sièges à y gagner. Sur l’Europe - comme sur tout autre sujet -, il faut s’interroger sur ce que nous avons à conserver des institutions qui siègent à Bruxelles et à Strasbourg et ce dont nous devons nous débarrasser. Faire ce tri est au cœur de la démarche conservatrice. Pour doter, enfin, la droite d’un discours crédible, cohérent et, surtout, rassembleur.

Autour du conservatisme ?

Et si le parti pris conservateur était la seule réponse aux « progressistes » dont Emmanuel Macron se présente comme le chef de file ? Et si nous nous faisions les hérauts de l’esprit d’entreprise face aux quémandeurs des aides publiques, de la défense du patrimoine face à l’art subventionné des FRAC, de l’école du mérite et du savoir face au culte de l’enfant roi, de l’agriculture raisonnée face à la « ferme des mille vaches », de la solidarité familiale face à la marchandisation de l’individu, de la nation face au sans-frontiérisme, de la « décence commune » face à la gangrène nihiliste ? Et si, dans l’éternelle querelle des « anciens » et des « modernes », l’avenir n’appartenait pas à ceux que la doxa médiatique nous présente comme le seul futur enviable ?

Robert Ménard
Robert Ménard
Maire de Béziers, ancien journaliste, fondateur de Reporters sans frontières et de Boulevard Voltaire

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