[Cinéma] Hokusai, une fresque tronquée de Hajime Hashimoto

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Les films biographiques ont décidément le vent en poupe, nos sociétés libérales cherchant inlassablement à ériger des modèles d’individus anticonformistes et de nouveaux exemples de réussite personnelle. Intention louable, dans une certaine mesure. Hélas, ces « biopics », et notamment ceux qui ont trait à des artistes renommés, sont rarement de totales réussites – on l’a vu avec Michel-Ange, d’Andreï Kontchalovski, et plus récemment avec Caravage, de Michele Placido.

Le nouveau film de Hajime Hashimoto consacré au « vieillard fou de dessin » ne fait pas exception. Connu à travers le monde pour ses Trente-six vues du mont Fuji (au début des années 1830), et en particulier pour La Grande Vague de Kanagawa, qui décore moult tee-shirts, mugs et autres tote bags, Hokusai méritait bien de tels honneurs cinématographiques. Avec plus de 30.000 dessins produits au cours de sa vie, l’artiste japonais aurait influencé des figures majeures de la peinture occidentale, dont Vincent van Gogh et Claude Monet.

Hokusai prend pour contexte l’époque d’Edo (1603-1868) sous le shogunat des Tokugawa. Rappelons qu’à cette époque, le pouvoir japonais est confronté aux premières intrusions sur son sol des puissances occidentales (la Hollande, le Portugal, la Russie, l’Angleterre, la France et les États-Unis) qui remettent en cause sa politique isolationniste. Le Japon connaît, en outre, d’importantes difficultés financières débouchant fréquemment sur des révoltes populaires. Une trentaine de provinces sont en état quasi insurrectionnel. Les campagnes connaissent une misère sans précédent car l'impôt principal du pays pèse sur le travail agricole. Les famines se multiplient, tout comme les jacqueries. Plus de 7.000 révoltes éclateront au cours de la période Tokugawa ! D’où les réformes de l'ère Kansei (1789-1801), mises en place par Matsudaira Sadanobu, qui visent à restaurer l’économie paysanne traditionnelle et à assainir les finances. Sadanobu y réaffirme, au passage, les fondements idéologiques de la Voie du guerrier et fait du néoconfucianisme la seule doctrine officielle. Il décide ainsi de réglementer les mœurs en interdisant les dépenses somptuaires, la mixité dans les bains publics et les ouvrages licencieux via la censure. Sadanobu quitte sa charge dès 1794, mais sa politique, nous dit l’historien Pierre-François Souyri, « donnera le ton pour plus d'un demi-siècle ».

Parallèlement, depuis les années 1720-1750, la ville d’Edo (future Tokyo) a pris le pas sur Osaka grâce à l’essor d’une culture tout aussi foisonnante, populaire et consumériste. Pour la première fois dans l’histoire du Japon, l’Est supplante l’Ouest en matière de création artistique.

Dans ce contexte, Shunrô, qui ne se fait pas encore appeler Hokusai, est, au milieu des années 1780, un jeune artiste sans le sou, issu de milieux populaires. Banni de l’école Katsukawa pour avoir frappé un autre disciple, plein d'orgueil et de morgue, il est freiné dans son apprentissage. Repéré par Tsutaya Jūzaburō, l’un des plus grands éditeurs d’estampes de l’époque d’Edo, Hokusaï fera à ses côtés la rencontre des grands artistes de son temps, tel Kitagawa Utamaro, connu pour ses portraits de femmes et ses albums érotiques, et visé en conséquence par la censure. Au contact de ses aînés, Hokusai parviendra à trouver son propre style, se dévouera entièrement à son art et imposera ses œuvres à la postérité.

D’une durée initiale de 129 minutes, le film de Hashimoto a été réduit à 90 minutes pour sa distribution en France. Soit une amputation tout bonnement scandaleuse de 40 minutes qui explique probablement le manque de contexte historique, la narration bancale et, surtout, l’ellipse radicale qui nous fait passer en une minute des vingt ans de l’artiste à ses soixante-dix ans… Quoi de plus ironique pour un film qui traite (notamment) des questions de censure et d’atteinte à l’intégrité des œuvres ! En attendant de mettre la main sur une hypothétique « version longue », on se contentera de quelques éléments biographiques (insuffisants), de quelques décors et costumes d’époque…

3 étoiles sur 5

Pierre Marcellesi
Pierre Marcellesi
Chroniqueur cinéma à BV, diplômé de l'Ecole supérieure de réalisation audiovisuelle (ESRA) et maîtrise de cinéma à l'Université de Paris Nanterre

Vos commentaires

Un commentaire

  1. Un beau film, mais maintenant que vous expliquez les coupes importantes, je comprends pourquoi il est par moments incompréhensible pour nous occidentaux qui n’avons pas les clés de la culture japonaise de cette époque.
    On comprend mal ce qui justifie ces raccourcissement, quand d’autres films étrangers durent plus de deux heures.

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