[Tribune] L’isolement de la Russie n’est pas si évident

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En lançant une guerre diplomatique et économique sans précédent contre la Russie, l’Amérique avait plusieurs objectifs d’importance variable : ressouder le camp occidental sous la bannière de l’OTAN, isoler diplomatiquement la Russie, vendre son gaz de schiste et ses armes à l’Europe.

Sur ces deux derniers points, les affaires sont en bonne voie. Les Allemands vont mettre fin à près de quatre-vingts ans de pacifisme et inaugurent cette nouvelle ère par l’annonce d’un achat massif d’avions américains. Bien joué et spectaculaire démonstration de l’unité européenne. Ah, le beau couple franco-allemand !

Les Polonais, que plus rien n’arrête, ont gentiment proposé à l’Amérique de donner leurs vieux MiG tout pourris à l’Ukraine en échange de la livraison, par Washington, de F-35 flambant neufs, gratuitement bien sûr. Pas de chance : les descendants des vieux colons protestants ont gardé intact leur sens des affaires, et si l’on veut bien aider le monde en général et l’Ukraine en particulier, il faut tout de même que cela rapporte quelques dollars. Alors, sur ce coup-là, c’est non. Les avions, ça ne se donne pas.

Mais ce n’est pas grave, toute l’Europe de l’Est fera son marché à Washington, ces prochaines années. L’Europe, c’est bien pour se faire financer ses infrastructures aux frais du contribuable européen, mais tout de même pas pour se défendre, soyons sérieux. Heureusement que les courageux Grecs sont là pour acheter nos avions, car eux ne veulent pas que leurs pilotes volent sur les mêmes engins que ceux de l’Empire ottoman. Une rare cohérence par les temps qui courent.

Côté gaz, cela se présente bien également pour Washington. Nord Stream 2 est gelé pour un moment et tant la Norvège que le Qatar ne sont pas aptes à augmenter substantiellement leurs livraisons aux Européens. Quant à l’Iran, elle est sous sanctions. On ne sait plus très bien pourquoi, mais peu importe. Alors, Biden a fait sa tournée européenne pour expliquer qu’il avait du bon vieux gaz de schiste à vendre. C’est beaucoup plus cher que le gaz russe mais, comme chacun sait, l’Amérique n’a jamais envahi personne et, donc, c’est moralement mieux de lui acheter à elle qu’à Poutine.

Les capacités de transformation du gaz liquide américain (car il est liquide, en plus) sont limitées en Europe, mais peu importe : on va dépenser ce qu’il faut pour s’adapter. Poutine lui-même n’avait peut-être pas prévu que l’Europe accepterait de se ruiner un peu plus avec le sourire. En attendant, il demande à être payé en roubles pour le gaz dont tout le monde a encore besoin et il sera intéressant de suivre cela de près. Des transactions de gaz dans une autre monnaie que le dollar, ce serait une brèche intéressante.

Quant à l’OTAN, ça va plutôt bien, tout le monde veut adhérer sauf l’Ukraine depuis peu et pour les raisons que l’on connaît. C’eût été plus simple d’accepter de discuter de tout cela avant.

Sur le plan diplomatique, en revanche, la situation n’est guère reluisante, contrairement à ce que de nombreux médias essaient de nous faire croire. Malgré beaucoup d’efforts, Biden n’a rien obtenu de la Chine, qui refuse de condamner l’invasion russe. Taïwan est dans tous les esprits. L’Inde fait également sécession : l’incroyable indulgence de l’Amérique pour le Pakistan depuis des décennies a son revers.

Ce n’est pas une surprise. En revanche, plus inattendu, le Moyen-Orient renâcle. Mais l’Arabie saoudite a été fort maltraitée, ces derniers temps, et les Émirats arabes unis rêvent d’une diversification géopolitique depuis déjà longtemps. Riyad parle beaucoup avec la Chine et l’on envisage des transactions pétrolières en yuans, ce serait une première. Alors, là non plus, pas de condamnations, ou alors du bout des lèvres. Même Israël, qui a condamné pour le principe, ne compte pas s’en mêler.

L’Afrique se fait tirer l’oreille également. L’Amérique n’y est guère populaire et ses leçons de morale fatiguent vite ce continent qui accueille maintenant davantage les Chinois, les Russes et les Turcs que les Occidentaux.

Finalement, l’isolement de la Russie ne semble pas si évident. Une grande recomposition géopolitique, en marche depuis quelque temps, pourrait s’accélérer et laisser l’Amérique et ses valets plus solitaires que prévu.

Antoine de Lacoste
Antoine de Lacoste
Conférencier spécialiste du Moyen-Orient

Vos commentaires

64 commentaires

  1. Ne comptez pas sur les Allemands. L’amitié Franco-Germanique n’existe pas. Nous nous sommes toujours détestés et les Allemands avec l’aide des US fera tout pour nous ruiner et nous humilier. Une vengeance, un feu qui couve depuis bien longtemps. Il est vrai que nous ne sommes rien, des fainéants, des gueux, des illettrés. L’Allemagne n’a rien à faire de nous et travaille pour ELLE.

  2. Il est bien triste que nos gouvernements européens n’aient pas l’intelligence de s’en rendre compte et nous précipitent dans la débâcle et géopolitique et économique !

  3. Quoi qu’on en pense ou qu’on en dise, Poutine reste le maître des horloges et il le sait – heureusement des experts autres que ceux ligués sur tous les plateaux de télévision pour nous assurer de la faiblesse du chef viennent contredire ces assertiions infondées et nous livrer des arguments justes , précis et honnêtes.

  4. Il ne faut pas s’attendre à quoi que ce soit de la part des Allemands. Il n’y a jamais eu d’amitié franco-allemande, nous nous sommes toujours détestés et aujourd’hui les Allemands sont bien contents de nous humilier et nous écraser. Normal. Nous ne sommes qu’un peuple d’illettrés, fainéants, gueux, moins que rien et j’en passe.

  5. Les fonctionnaires français représente l’Etat français, les fonctionnaires américains représente le commerce américain. Le reste c’est du pipeau ou de flute.

  6. Analyse pertinente et courageuse. Il est temps de voir les choses en face. Le faucon américain qui a asservi l’Europe ne se lasse pas de la dresser contre la Russie, comme du temps de la guerre froide contre l’Union Soviétique. Les États-Unis refusent à la Russie sa place dans l’Occident qui est indéniablement la sienne, de crainte qu’elle ne compromette son leadership en Europe. Tel est l’enjeu géopolitique !

  7. Les américains font tout depuis la chute de l’URSS pour empêcher la constitution d’une Europe incluant la Russie, et qui pourrait se passer de ses « très chers » services. Le prétendu monde libre au service du dieu dollar.

  8. Y a une autre forme d’isolement: c’est la décomposition de l’occident avec ses « valeurs chrétiennes devenues folles », validée par Vatican II et son relativisme, dont cherche à s’éloigner le reste du monde ! Point besoin d’armées pour nous vaincre, nous nous effaçons nous-mêmes ! Une grande majorité n’est plus prête à se battre voire à mourir pour son pays. Ceci explique, en partie, nos invasions actuelles !…

  9. Une des clés de la situation géostratégique, c’est la Turquie, qui joue un rôle ambigü dans cette région de la mer Noire, avec sa maîtrise du Bosphore et des Dardanelles. Elle seule peut jouer les intermédiaires, car il n’y a rien de bon à attendre des Etats Unis et de l’Europe. La Chine s(est récusée et elle attend patiemment que la Russie se soit épuisée militairement pour tirer les marrons du feu. Tant pis pour l’Ukraine. Cela arrange trop de monde que ce pays devienne un champ de ruines.

  10. Par un effet boomerang qui n’a rien de nouveau, les sanctions contre la Russie achèveront de ruiner la France, laquelle restera moralement pure, ce qui ne sauvera pas l’Ukraine. On le sait, seuls les EU tirent les marrons du feu et atteignent leurs buts de guerre —la guerre des autres. Les abstentionnistes s’abstiennent parce que le vote ne change rien. En effet, leur vote ne change rien, puisqu’ils ne votent pas. Et s’ils votaient massivement pour virer le leader qui ne change rien?

  11. C’est une bonne analyse. La prétendue « communauté internationale » se résume à l’Occident en fait, lequel ne pèse plus du point de vue démographique que 13% du total de l’humanité. L’isolement de la Russie n’est que très partiel. Hors de l’Occident, les peuples ne se sentent que très peu concernés par le conflit en cours. De plus, de nombreux pays ont un besoin vital du gaz, du blé et des engrais que la Russie exporte massivement.

  12. Bonne analyse. Mais l’effet boomerang des sanctions n’est pas encore arrivé chez nous (à part quelques centimes sur l’essence). Les peuples (pas les dirigeants) vont bientôt se demander sérieusement pourquoi ils ont perdu un tiers de leur pouvoir d’achat. les USA, eux, ont déjà perdu la suprématie du dollar en Asie. Tout n’est pas ce qu’il paraît dans cette guerre, et il faut encore attendre pour savoir quel camp sera le gagnant.

  13. La Russie est isolée avec des pays qui représentent environ 7 milliards d’habitants.
    Le monde unipolaire voulu par les USA se meurt, et nous avons choisi le mauvais côté.

  14. La Russie est moins isolée que Poutine (22 ans de pouvoir absolu ! ) y compris dans son entourage

    • Si la France était dirigée par un homme comme Poutine nous ne serions pas en faillite économique et sociale. Poutine aime son pays alors que notre histrion est un traître à la France et aux français.

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