Nommer Dreyfus général : Emmanuel Macron fait du « en même temps »

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À défaut de faire l’Histoire, Emmanuel Macron adore la revisiter. À sa manière, c’est-à-dire souvent de façon approximative. Péché de jeunesse, en 2017, en pleine campagne présidentielle, le candidat Macron faisait de la colonisation un « crime contre l’humanité ». En 2021, il pose cette question : « Est-ce qu’il y avait une nation algérienne avant la colonisation française ? Ça, c’est la question. » Poser la question, c’est déjà donner un peu la réponse, et si cette réponse est négative, on en déduit qu’il a fallu passer par un « crime contre l’humanité » pour engendrer la nation algérienne... Emmanuel Macron se perd un peu dans les couloirs de l'Histoire.

Si Emmanuel Macron n’est pas spécialement un fan du déboulonnage (« On ne choisit jamais une part de France, on choisit la France, c’est pour cela qu’on ne déboulonne pas de statue », déclarait-il, en septembre 2020), il faut avouer qu’il a sa façon bien à lui d’apporter son éclairage sur notre passé. On l’a vu tout récemment lorsqu’il s’est agi de commémorer le 17 octobre 1961 : très commode de faire porter le chapeau à un fonctionnaire, surtout s'il s'appelle Papon.

Ce mardi 26 octobre, lors d’un dîner des protestants, le chef de l’État a été interrogé sur la possibilité de nommer Dreyfus général. Réponse du Président : « Appartient-il au président de la République de faire de Dreyfus un général aujourd’hui ? Ma réponse de principe serait non. » Jusque-là, tout va bien. En effet, poursuit-il, « on ouvrirait alors la possibilité au président de la République de restaurer ou dégrader quiconque en fonction des temps. Parce que j’aurais demain des demandes de tel ou tel pour dégrader des généraux qui ont participé à la colonisation ou à telle ou telle guerre… Le grand risque, c’est de revisiter la hiérarchie militaire ou l’Histoire, avec le regard d’aujourd’hui. » Là encore, tout va bien. Car, en effet, on peut imaginer « revisiter », non seulement la hiérarchie militaire mais aussi nos ordres nationaux. En perspective, la déchéance de Napoléon Ier, fondateur de la Légion d'honneur, de sa Légion d’honneur, car il rétablit l’esclavage ! A contrario, l'attribution du ruban rouge à Vercingétorix et à Olympe de Gouges (parité oblige) ou de la médaille du Travail à Colbert. Ah non, pardon, pas Colbert

Là où ça se gâte, c’est lorsque Emmanuel Macron fait suite aux propos de son ministre des Armées Florence Parly qui, en 2019, déclarait : « Cent vingt ans plus tard, il est encore temps que les armées redonnent à Alfred Dreyfus tout l’honneur et toutes les années qu’on lui a ôtées. Et j’y veillerai personnellement. » En clair, reconstituer la carrière de Dreyfus, le promouvoir à titre posthume. Rappelons, tout de même, qu’Alfred Dreyfus fit valoir ses droits à la retraite en 1907, que mobilisé durant la Grande Guerre, il fut nommé lieutenant-colonel en 1918 et officier de la Légion d’honneur en 1919. Ainsi, pour Emmanuel Macron, c’est donc à l'armée de faire le travail : « C’est sans doute l’institution militaire, dans un dialogue avec les représentants du peuple français, qui peut le faire, plus que le Président comme une décision souveraine, comme un fait du prince. Je pense que ce serait inapproprié. Mais in pectore (« dans mon cœur »), il l’est, le chef des armées que je suis peut vous le dire. » Du « en même temps » pur jus.

Nous nous contenterons de rappeler ce que dit la loi en matière de promotion des officiers : « Les promotions ont lieu de façon continue de grade à grade. » Pour devenir général, il faut d’abord avoir été colonel : c'est tout bête, mais c'est comme ça. « Sauf action d'éclat ou services exceptionnels, nul ne peut être promu à un grade s'il ne compte dans le grade inférieur un minimum de durée de service, fixé par voie réglementaire. » Et (un article que ne peut ignorer Emmanuel Macron) : « Les nominations dans un grade de la hiérarchie militaire sont prononcées : 1° Par décret en Conseil des ministres pour les officiers généraux ; 2° Par décret du président de la République pour les officiers de carrière et sous contrat. » Il appartient donc bien au président de la République de nommer les généraux, pas aux armées.

 

 

 

Georges Michel
Georges Michel
Editorialiste à BV, colonel (ER)

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