Manifestation du 17 octobre 1961 : un événement qui a été amplifié à partir des années 90

Le 17 octobre 1961, en pleine guerre d'Algérie, le Front de libération nationale (FLN) organisait à Paris une manifestation pour défier le couvre-feu qui s'appliquait aux Nord-Africains en région parisienne. Cette manifestation fut réprimée avec vigueur. S'il est exagéré de dire que cet événement fut un "massacre sans cadavres", en revanche, il a été amplifié à partir des années 90, notamment suite aux travaux très contestables d'un historien gauchiste de formation.

L'historien Jean Sévillia revient sur cet événement et rappelle que les historiens doivent tout dire et pas seulement voir un seul côté de la vérité.

Jean Sévillia, le 17 octobre, nous commémorons le massacre du 17 octobre 1961. Cette date fait référence à une manifestation d'Algériens pro-FLN à Paris qui aurait débouché sur un bain de sang. Certains vont jusqu'à mettre en cause l'État français. D'autres, au contraire, parlent d'un massacre sans cadavres. Que s'est-il réellement passé ce 17 octobre 1961 ?

On ne peut pas parler de massacre sans cadavres, puisqu'il y en a eu.
En revanche, cet événement dramatique a bien été amplifié à partir des années 1990 à partir des travaux d'un historien appelé Jean-Luc Einaudi. Gauchiste de formation, il a fait un travail sur cet événement du 17 octobre en prenant uniquement des témoignages d'Algériens sans faire de recherche dans les archives. Son livre a été contesté ensuite. Mais, malgré tout, il y a une sorte de doxa.

Le 5 octobre 1961, le préfet Maurice Papon décide d'appliquer un couvre-feu à l'égard des Algériens vivants en région parisienne. Ils n'ont pas le droit de sortir le soir, leurs cafés sont fermés, etc. Pour défier cette mesure, la fédération de France du FLN convoque une manifestation pour le 17 octobre, demandant à une foule algérienne de manifester au centre de Paris, dans les grands axes de la capitale.
Les policiers étaient en sous-effectif ce jour-là. Ils se trouvent soudainement devant une foule de 20.000 à 30.000 Algériens dispersés sur plusieurs sites. Les policiers sont en situation d'infériorité numérique, car ils ne s'attendent pas à cette manifestation et ils sont en état de tension interne très forte en raison de nombreux attentats dirigés contre eux. Il y a eu des morts et des blessés parmi les policiers.
Il ne faut pas le cacher, la réponse de la police va être dure et brutale. 11.000 manifestants sont interpellés et des brutalités policières ont certainement été commises.
Jean-Paul Brunet, qui n'est ni un homme de droite ni un nostalgique de l'Algérie française, a publié un livre critique après avoir fait des recherches dans les archives. Il a constaté que le livre de Jean-Luc Einaudi comptabilisait des morts qui ont eu lieu sur plusieurs mois et dont certains ne sont absolument pas imputables à ce qui s'est passé cette nuit-là. Certains étaient morts pour des raisons de droit commun. Il a pu ramener le nombre de victimes à une trentaine.

On parle donc d'une trentaine de morts imputables au traitement de la manifestation. Beaucoup d'autres victimes nord-africaines ont été comptées dans la manifestation alors qu'elles étaient décédées à des endroits très opposés de la manifestation et pour d'autres sujets.

C'est exactement cela.
On a effectivement un épisode de brutalité policière, mais qu'on ne peut pas isoler de son contexte général.
Les policiers ont eu des victimes dans leur rang. On est en guerre. La guerre d'Algérie est une guerre coûteuse en hommes. Le sang coule partout.
Isoler cet élément-là pour en faire un élément à charge contre l'État français n'est pas prendre en compte la dimension terroriste du FLN. Dès 1954, le FLN avait choisi d'emblée la terreur comme méthode stratégique dans la guerre. Il l'a appliquée aussi bien en Algérie qu'en métropole.
Si on veut émettre des jugements, il faut tout mettre sur la table et pas seulement un seul côté.

On peut néanmoins parler d'une interprétation politique de cet événement. Ces interprétations sont souvent le fait d'associations comme SOS Racisme, etc. On a l'impression que cela a pris davantage une tournure politique qu'historique.

Ca fait partie du procès global contre la colonisation française, contre l'État français au moment de la guerre d'Algérie, et des forces de l'ordre en général, armée comme police.
Ce procès consiste aussi à exonérer la partie indépendantiste algérienne de toute faute, comme si les indépendantistes algériens avaient mené une guerre en dentelle. Or, ce n'est pas le cas. Eux aussi ont utilisé la violence, une violence parfois très cruelle et qui a provoqué des victimes.
Encore une fois, l'historien doit tout dire et ne pas voir qu'un seul côté de la vérité.

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Jean Sévillia
Journaliste et essayiste - Rédacteur en chef adjoint au Figaro Magazine, membre du comité scientifique du Figaro Histoire, et auteur de biographies et d’essais historiques.

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