
Le célèbre et souvent décrié Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) s’éteint donc avec l’année 2021. La nouvelle sera peut-être fêtée dans les étages du groupe Canal+ matraqué par des amendes et sanctions colossales liées à sa chaîne CNews. Mais les acteurs de l’audiovisuel auraient tort de se réjouir trop vite. Le CSA fusionne avec l’HADOPI, qui luttait contre le piratage, pour donner naissance à l’ARCOM (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique). Objectif : créer « le régulateur français de la communication audiovisuelle et numérique ». L’ARCOM défendra officiellement « une offre audiovisuelle pluraliste et respectueuse des droits et libertés », préservera la création et participera « au développement d’un Internet plus sûr ». Youpi ! Sauf que cette belle vitrine cache quelques ombres.
Une dérive à la chinoise ?
Évacuons d’abord les faux et les mauvais procès. Que l’ARCOM, qui sera présidée par Roch-Olivier Maistre, l’ex-président de l’ex-CSA, soit missionné pour gendarmer les grandes plates-formes américaines, type Netflix ou Disney+, qui proliféraient sans règles ou presque paraît utile pour qui veut protéger le pays des prédations de ces acteurs mondiaux surpuissants. Que l’ARCOM lutte contre le piratage qui finira par étouffer toute création paraît indispensable. Qu’il s’organise pour bloquer les sites condamnés par la Justice inquiète déjà davantage car la Justice se passait jusqu’ici de ce bras armé.
Mais d’autres points ont de quoi alarmer davantage. Les moyens dont disposera l’ARCOM (46,6 millions d’euros de budget !) sont considérables. Ses outils pour sanctionner les faits « susceptibles de constituer des atteintes aux droits », aussi. Les agents de l'ARCOM pourront ainsi « participer sous un pseudonyme » à des conversations et « extraire, acquérir ou conserver par ce moyen des éléments de preuve ». La seule limite ? Ne pas « inciter autrui à commettre une infraction ». Lorsque ce dispositif se penche sur la pornographie, l’utilisation de mineurs dans des activités manifestement illicites ou le piratage, il est acceptable. S’il s’applique un jour aux opinions, on pourra craindre une dérive à la chinoise.
De la même manière, l’ARCOM se penchera sur les dispositifs mis en place par les plates-formes en ligne (Facebook, Twitter, etc.) pour lutter contre la manipulation de l’information ou la diffusion de contenus haineux, sous peine de lourdes amendes. Dangereux, là aussi, tant la tâche de cette forme de ministère de la Vérité cher à Orwell comporte de risques pour les libertés, et spécialement pour la plus précieuse d’entre elle : la liberté d’expression. Le maniement de l'information est parfois subtil. L’exemple des innombrables informations qualifiées de « fake news » et qui se sont avérées partiellement ou totalement vraies par la suite en témoigne.
Le président de l'ARCOM nommé par l'Élysée
Autre sujet d'inquiétude, l’ARCOM n’aura pas seulement en charge les plates-formes vidéo par abonnement et les réseaux sociaux mais aussi les sites Internet comptabilisant au moins 5 millions de visites uniques par mois. Longtemps cantonné à l’univers de la radio et de la télévision, le CSA devenu ARCOM étend donc sa réglementation au Web. Or, si la radio et la télévision utilisent des fréquences qui appartiennent au domaine public, ce qui peut justifier que l’État se préoccupe de leur usage, ce n’est pas le cas des sites Internet qui naissent et vivent en dehors de toute dépendance à l’État.
Enfin, l’inquiétude monte encore d’un cran lorsqu’on se penche sur le fonctionnement de ce nouveau gendarme des médias. Son président, Roch-Olivier Maistre, est un haut fonctionnaire respecté dont la tâche n’a rien de facile. Lui-même n’est pas en cause. Sa nomination l’est davantage, puisqu’elle relève du… président de la République. Nommé par Macron en 2019, Maistre a succédé au CSA à Schrameck, nommé par Hollande en 2013. Le lien avec le politique est ici clairement assumé ! En outre, trois membres sur les huit que compte le collège des conseillers de l’ARCOM (neuf avec le président) sont désignés par le président de l’Assemblée nationale, le député LREM Richard Ferrand. Les autres sont nommés par le président du Sénat, par le Conseil d’État et la Cour de cassation, ces deux dernières enceintes n'étant pas à l’abris des influences politiques.
Il reste à espérer que les sages de l'ARCOM utilisent leurs grands pouvoirs et fassent preuve de toute leur indépendance pour faciliter la liberté d’expression en France et non pour la réduire.
31 décembre 2021
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