François Mitterrand : un certain esprit français
Ce n’est peut-être pas pour les mêmes raisons mais, pour une fois, je pense, comme la majorité des Français, que François Mitterrand a été le meilleur Président de ces quarante dernières années.
En mai 1981, j’avais 16 ans lorsqu'il a été élu président de la République. Pour mes parents, c’était une catastrophe, pire que Giscard. Et pour moi, déjà bien convaincu de la nocivité de la gauche, c’était l’arrivée de l’Antéchrist au pouvoir ! Nous étions encore au temps de la guerre froide et le bloc communiste nous faisait très peur. Il faut rappeler que les missiles soviétiques<SS-20 étaient pointés sur l’Europe occidentale, que nous appelions « le monde libre », et que l’URSS avait envahi l’Afghanistan deux ans plus tôt.
François Mitterrand avait, dans son gouvernement, quatre ministres communistes, autant dire quatre agents du KGB pour le camp adverse. Mais, pour contrer les volontaires à la fraternisation avec l’ennemi, il avait eu cette sortie de génie à Bonn, en janvier 1983 : « Les fusées sont à l’Est, les pacifistes à l’Ouest ! » Avec une mesure telle que l’invention de l’impôt sur les grandes fortunes, c’était un peu une resucée policée de 1789 avec la guillotine en moins, puisque celle-ci était remisée, même pour les criminels les plus endurcis.
Durant quatorze années, de 1981 à 1995, François Mitterrand exerça la haute magistrature avec toute la majesté que permet la Constitution de la Ve République et qui seyait à sa personnalité. Entre-temps, j’avais eu mon baccalauréat, passé mon permis de conduire, exercé mon droit de vote, terminé mes études de droit, connu mes premières déceptions amoureuses, fait mon service militaire, éprouvé la mort de ma mère, commencé mes premiers boulots… C’est qu’il y en a, des événements, en quatorze années, où l’on passe d’adolescent à jeune adulte. Quatorze années où le XXe siècle finissant voyait le monde politique bouleversé, tant au niveau national qu’international. Désabusé mais toujours dans le même camp, je n’avais jamais voté pour le parti du Président. Pourtant, imperceptiblement, j’étais passé du dénigrement à l’admiration, davantage pour l’homme que pour le président.
Vers la fin de son second mandat, souffrant le martyre, abandonné par les flagorneurs de la première heure, vilipendé par la presse pour cause de passé dérangeant, François Mitterrand assumera jusqu’au bout sa tâche d’homme d’État, résistant à la tentation de plaire aux suiveurs de modes et n’hésitant pas à remettre à leur place les journalistes impertinents. À la question d’Elkabbach de savoir si la France allait présenter ses excuses pour ce qui s’est passé à Vichy, il avait répondu avec panache : « Vous attendrez longtemps… » Il faisait encore partie des Présidents qui défendaient l’honneur de la France.
Courageux, attaché à ses racines, fidèle en amitié, homme de lettres et séducteur, il incarnait un certain esprit français. Si je devais retenir quelques mots de François Mitterrand, ce serait ceux qu’il prononcera à la toute fin de son règne, en guise d’adieu à l’occasion des vœux pour 1995 : « Je crois aux forces de l’esprit, et je ne vous quitterai pas ! » Alors, oui, rien que pour les trois phrases que j’ai citées plus haut, je pense que François Mitterrand a été le plus grand Président de ces quarante dernières années.
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