Attentats à Kaboul : les responsables du chaos afghan
Et un troisième attentat en Afghanistan en une semaine, perpétré à l’Académie militaire de Kaboul, qui a fait plus de cent morts et près de 250 blessés. La fameuse « guerre contre le terrorisme » est décidément un succès de tous les instants.
On aurait tort de voir, dans cette nouvelle vague de violence, le énième épisode de la « guerre » en question, ayant seulement eu lieu sur un autre théâtre d’opérations que le nôtre, en Europe. Ainsi, certains médias, se contentant trop souvent de reprendre à leur compte la doxa de la Maison-Blanche, aiment à présenter l’affaire comme affrontement entre deux blocs bien distincts, sorte de lutte de type eschatologique entre camp du « Bien » et camp du « Mal », Occident et Orient, chrétienté et islam, civilisation et barbarie… terroriste.
La réalité est un peu plus compliquée. En effet, la guerre qui n’en finit plus d’ensanglanter l’Afghanistan – cela fera bientôt quarante ans, depuis l’intervention de l’armée soviétique en 1979 – obéit à une tout autre logique, celle d’une géopolitique remontant à Gengis Khan et Alexandre le Grand, due à la position stratégique de ce pays, entre est et ouest du continent eurasien. Les Anglais surnommaient cela « Le Grand jeu », l’Afghanistan en étant la pièce maîtresse ; la preuve en est qu’ils n’eurent de cesse de l’occuper. En vain, notera-t-on ; au même titre que toutes les autres puissances, régionales (Inde) ou lointaines (USA ou URSS), qui s’y sont risquées depuis.
Aujourd’hui, ce pays est non seulement sous tutelle étrangère – les troupes de la coalition occidentale –, d’où une très logique guerre de libération de son territoire, mais également en proie à un autre conflit interne de type ethnique, entre Tadjiks et Pachtouns. Le défunt commandant Massoud était tadjik et, à ce titre, soutenu à la fois par la Russie (après avoir combattu l’Armée rouge), l’Iran et l’Inde. Les talibans, eux, sont des Pachtouns, traditionnellement soutenus par le Pakistan, pays qui compte une forte minorité pachtoune. Un Pakistan qui est, à son tour, soutenu par les Américains, contre la Russie, et les Saoudiens, contre l’Iran.
Quand les talibans prennent le pouvoir à Kaboul, les seules capitales qui reconnaissent le nouveau régime sont donc Islamabad, Riad et Washington. Madeleine Albright y voit même « un pas positif ». Un contrat visant à la construction d’oléoducs et de gazoducs est tôt conclu entre ce mouvement et la Maison-Blanche, avant d’être unilatéralement dénoncé par Kaboul. Qu’il y ait ou non rapport de cause à effet, il n’empêche qu’après le 11 septembre 2001, les USA tiennent enfin le motif pour envahir l’Afghanistan, sous couvert de lutte contre un terrorisme qu’ils ont eux-mêmes instrumentalisé contre les Soviétiques, avec caution théologique et capitaux saoudiens.
L’Histoire n’en finit plus de se répéter, comme en Indochine, où les communistes vietnamiens, après avoir été armés par les Américains pour chasser les Français, se sont ensuite retournés contre leurs anciens protecteurs.
Dans cette histoire, c’est encore le Pakistan qui pratique le double jeu le plus trouble : financé à bout de bras par les USA, ses puissants services secrets – l’ISI est quasiment un État dans l’État – tiennent les talibans dans leur main. Ou comment aider Al-Qaïda avec l’argent de la CIA. Et comme rien n’est jamais simple, les talibans sont aujourd’hui concurrencés par l’État islamique local, groupement plus radical encore, et sur lequel Islamabad ne semble pas avoir prise.
De son côté, Washington est coincé dans le guêpier afghan. Il annonce régulièrement le retrait de ses troupes tout en étant condamné à les maintenir sur place. Quant au « plan Marshall » que ses stratèges avaient imaginé, les milliards de dollars déversés n’auront servi qu’à enrichir quelques potentats locaux. Bref, après l’Irak, la Libye, et la Syrie dans une moindre mesure, c’est le chaos qui s’installe, provoqué par ceux-là mêmes qui entendaient « remodeler le Proche-Orient », au gré de leurs intérêts propres, comme toujours. Avec le désastre qui s’ensuit, comme souvent.
La « guerre contre le terrorisme » a décidément bon dos. Et il est assez désolant que la France ait perdu tant de ses soldats au nom d’une telle mascarade.
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