Si l'Europe de l'Ouest et la Russie édifiaient une coopération diplomatique, scientifique et culturelle, la Chine et l'Amérique ne pourraient que constater cette puissance. Inimaginable avec l'URSS, cela devint possible dès la fin du XXe siècle. De l'Atlantique à l'Oural…

Mais les crises successives de l'Ukraine, les sanctions, les agitations de l'OTAN, la Syrie, la supposée Russian Connection de Donald Trump et, à présent, l'assassinat raté d'un espion retraité, suivi de la plus importante expulsion de diplomates de l'Histoire, sont passés par là : les dégâts géopolitiques et économiques sont considérables. Or, les enjeux sont si vitaux qu'on ne peut pas éluder l'hypothèse que ces crises soient ourdies : qui aurait intérêt à brouiller les Européens avec la Russie ? Qui est à l'origine de cette tentative de meurtre ? Quels mobiles ? Plusieurs hypothèses viennent à l'esprit.

Empêcher le rapprochement des Europes de l'Est et de l'Ouest favoriserait un partenariat sino-russe, empêcherait la coopération USA/Russie (qui fut un point de la campagne du candidat Trump), pérenniserait l'OTAN que Donald Trump disait obsolète, pèserait sur le rapprochement russo-turc en cours… Et qui serait le meilleur candidat-coupable ?

La Russie ? Les spécialistes des "services" trouvent l'hypothèse absurde (sauf hypothétique guerre entre services russes). Les commentaires officiels russes insistent sur l'idée d'une "provocation", quelques jours avant l'élection de Poutine et quelques mois avant la Coupe du monde de football… Car les Russes auraient pu "effacer" Skripal avant son arrestation, son procès, sa condamnation pour haute trahison en 2006, pendant ses quatre ans de détention et son expulsion en 2010 vers le Royaume-Uni, avant la fin de sa peine.

Sinon, qui ? L'Ukraine, pour relancer son plan rapprochement de l'Union européenne et de l'OTAN en accentuant la pression contre la Russie ? Les États-Unis ? Ou certains de leurs services, souvent rivaux, en quête de coups tordus pour empêcher tout rapprochement Trump/Poutine, stimuler l'industrie militaire, faire remonter les cours du pétrole et du gaz ? Rappelons que Tillerson, très lié au milieu russe du pétrole, était immédiatement révoqué par Donald Trump.

L'OTAN, afin de pérenniser son existence et ses enjeux économiques ? La Turquie, l'Iran, pour sceller la démarche d'Astana ? Ou encore l'Union européenne ? La Pologne ? L'Allemagne ? La Chine, pour faire basculer de son côté - via l'Organisation de coopération de Shanghai - une Russie, lassée d'être rejetée par l'Ouest, ses immenses horizons, ses richesses énergétiques (et son tropisme euro-chrétien) ?

Le Royaume-Uni ? Ou un coup tordu des services de Sa Majesté pour mettre Mme May, falote et inefficace, dans une situation impossible ? Et dans le but soit d'accélérer le Brexit soit de le suspendre ? Mme May a été prompte à accuser la Russie : "Il est très probable que la Russie soit responsable", a-t-elle déclaré à la Chambre des communes, avant de prendre des sanctions. Or, le laboratoire chargé des analyses avouait ne pas être en mesure de désigner le pays d'origine du gaz mortel.

La Russie souligne - avec pertinence - toutes les atteintes à la méthodologie usuelles des analyses scientifiques : méthodes de prélèvements et d'analyses, soins aux intoxiqués… Pour un spécialiste de l’University College de Londres, la Russie n’est pas la seule nation capable de produire ce gaz.

Saura-t-on un jour la vérité ? On peut en douter. Et il est donc regrettable que la France ait signé aussi hâtivement le communiqué commun avec le Royaume-Uni, l'Allemagne et les États-Unis énonçant que la responsabilité russe était la seule explication plausible. En droit, particulièrement en droit international, il est inepte - et bellogène - de se fonder sur une simple "explication plausible"…

L'intérêt de la France n'est pas d'encourager Mme May, qui quitte l'Union européenne, dans cette voie. Pour mettre fin à cette crise, il faut proposer aux Russes une nouvelle approche des relations intra-européennes. Car, si on ne connaît pas l'auteur du crime, on voit bien qui en supporte le dommage politique, stratégique, économique : la Grande Europe.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 09/01/2020 à 20:16.

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12 avril 2018 à 19:12

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