« Les gens gagnent à être connus. Ils y gagnent en mystère... » Cet aphorisme de Jean Paulhan sied à merveille à Jacques Brel, dont on ignore généralement les relations privilégiées qu’il entretenait avec la Suisse, même s’il n’y a pas chanté souvent. C’est, en effet, sur les rives du Léman, avant de mettre les voiles vers les Marquises, qu’en 1969 le chanteur apprit à piloter à l’école de pilotage « Les Ailes », établie à Genève, à deux pas de l’aéroport de Cointrin. C’est dans cette même ville que son cancer du poumon lui sera diagnostiqué en 1974. Et c’est encore à Nyon, dans le canton de Vaud, au domicile de son instructeur en aviation, Jean Liardon, devenu, après la mort de Jojo, son secrétaire, son plus proche et son plus fidèle ami, qu’à l’automne 1977, Jacques Brel viendra lui faire écouter en primeur, sur disque souple, les 12 titres de son dernier album, Les Marquises.

Dans son livre Voir un ami voler – Les dernières années de Jacques Brel (Éditions Plon) écrit avec le journaliste Arnaud Bédat, Jean Liardon revient sur les dernières années du chanteur, qui lui confia un jour, lors d’un vol d’entraînement : « L’avion est le seul endroit où je n’ai pas besoin de musique, de mots. Tu entends ce silence, cette vie arrêtée sous nos pieds. » Jacques Brel rêvait même de devenir pilote professionnel et, à son retour sur l’archipel polynésien, avec son Beechcraft Twin Bonanza rebaptisé JOJO, il assurera de nombreux vols pour acheminer courrier, livres, médicaments ou transports sanitaires entre Tahiti et Hiva Oa, son île. « C’était l’Aéropostale des Marquises avec un poète », me confia un jour l’un de ses collègues pilote interviewé à Tahiti, ajoutant qu’il y avait, chez lui, « une folle envie de vivre, des rêves, des intuitions, des besoins d’amitié, d’amour » » que sa dernière compagne, Maddly, savait lui faire partager. Des chants d’amour que « les sœurs d’alentour ignorent d’ignorer… »

« Il avait une envie irrésistible de voler. On est loin de l’image du poète maudit qui regarde la mer, le regard pénétré par le large. Non, on se retrouve face à un grand escogriffe, drôle, bon vivant qui se lâchait », témoigne à son tour Arnaud Bédat, allé enquêter sur place. Jacques Brel, en juillet 1978, rongé par son crabe, quitte définitivement les Marquises, il s’installe à l’hôtel Beau-Rivage à Genève. Et le 9 octobre, il est évacué d’urgence par Jean Liardon dans un petit avion sur Paris, où il décédera deux jours plus tard, « par arrêt de l’arbitre », non sans avoir fait promettre à son ami « de ne jamais tomber malade ».

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07 août 2019 à 9:42

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