Nous vivons une époque merveilleuse : c’est scien-ti-fique !

"Nous habitons un monde infiniment meilleur que celui des générations passées" : voilà le slogan martelé depuis quelques jours dans les colonnes de la presse française.

Interviewé dans Libération par Laurent Joffrin ce vendredi 17 novembre, Steven Pinker, professeur à Harvard, nous enseigne ainsi que la violence n'a pas cessé de régresser depuis les premiers pas de l’humanité. Selon l'auteur de La Part d’ange en nous, nous serions bien meilleurs que nos prédécesseurs. Pour étayer sa thèse, Steven Pinker n’hésite pas à remonter très loin : "Pendant la préhistoire, il apparaît que le nombre de cadavres portant des traces de violence administrées par des congénères est en proportion considérable. On aboutit à un taux de morts violentes supérieur à 10 %. Autrement dit, les pourcentages de meurtres par rapport à la population sont environ 1.000 fois supérieurs au pourcentage que nous connaissons aujourd’hui en Europe." Nous voilà grandement rassurés : nous serions plus courtois que l’homme de Cro Magnon !

Joffrin aborde ensuite la question terroriste. Là encore, l’universitaire botte en touche : "Statistiquement, le terrorisme d’aujourd’hui est infiniment moins dangereux que la jalousie des maris qui assassinent leurs femmes, ou le mauvais fonctionnement de certains appareils ménagers qui causent des accidents domestiques." Décidément, nous voilà comblés !

Quant à notre "sentiment d’insécurité", le professeur de psychologie nous explique qu’il n’est pas lié au nombre de morts - dérisoire et insignifiant - mais à l’évolution de notre système de valeurs : "Nous accordons aujourd’hui à la vie humaine un prix très supérieur à celui du passé." Grâce à la construction des États-nations et aux lumières de la raison, les hommes se sont pacifiés et sont devenus meilleurs. Mais c’est à l’économie de marché que l’on doit de nous avoir rendus parfaits. "Le commerce, l’échange, la libre entreprise sont des sources d’apaisement des relations humaines. Il vaut mieux acheter des produits que les voler à son voisin[…]. Le commerce oblige aussi les hommes à se connaître, à trouver des règles communes." Pour s'en convaincre, il suffit d’étudier tel mouvement de panique à l’ouverture des soldes dans un grand magasin. En effet, l’homme contemporain ne vole plus son prochain : il se contente de le piétiner.

En France, nous avons aussi notre Steven Pinker. Il s’appelle Michel Serres et ne cesse de nous matraquer, partout où il est reçu, son idéologie souriante. Interrogé, lui aussi, vendredi dernier par La Voix du Nord, le philosophe s’insurge contre la formule pathétique du "C’était mieux avant" - celle que le petit peuple défaitiste rabâche en permanence, ignorant tout des grandes vérités dont Michel Serres vient l’éclairer. "J’essaie pour ma part de cultiver un optimisme de combat", explique Michel Serres.

"On vit la période la plus exceptionnelle de toute l’histoire de l’Humanité en Europe, c’est sans équivalent. Nous sommes en paix depuis 65 ans et personne ne s’en aperçoit, c’est unique dans notre Histoire", commence par rappeler le philosophe. De quoi, presque, nous donner envie de descendre dans les rues pour y chanter la douceur de vivre des années Bataclan !

"Les grandes maladies infectieuses sont éradiquées", poursuit-il.

Le travail est moins pénible. L’homme a cessé d’être un paysan, nous explique-t-il : voilà la clé du bonheur ! (Lui est-il déjà arrivé de mettre les pieds dans un centre d’appel ou les cuisines d’un fast-food, à Pôle emploi ou à la CAF ?)

Quant à la nourriture industrielle, elle le ravit littéralement : "L’hygiène a fait des bonds de géant. L’alimentation est contrôlée, sauf exception."

Tout va mieux, on vous le dit. C’est scientifique. Si nous étions un peu tatillons, nous rappellerions à tous ces brillants spécialistes que la violence n’est pas qu’un chiffre, qu’elle est aussi une inquiétude constante, une agression morale et esthétique. Nous ferions remarquer que le centre des grandes villes est devenu irrespirable à cause de la pression démographique, du sabotage des frontières, d’une délinquance quotidienne et de la déliquescence des rapports de civilité. Que la périphérie des petites villes est défigurée par la laideur des grandes enseignes commerciales. Que nos villages ferment les portes et tirent les volets sur un monde qui se joue ailleurs.

Thomas Clavel
Thomas Clavel
Ecrivain, chroniqueur et professeur de français en éducation prioritaire

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