Un cancer français : comme les chefs d’entreprise, les élus écrasés sous les normes

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Rien ne va plus chez les élus. Les uns souffrent d'une « addiction aux normes », les autres dénoncent un « harcèlement textuel »… Tel est le constat formulé par Françoise Gatel, sénatrice (Union centriste) d’Ille-et-Vilaine, et Rémy Pointereau, sénateur (LR) du Cher. Pour tenter de remédier à ce mal très français, les deux élus viennent de présenter, ce jeudi, à la chambre haute, un rapport d’information intitulé « Normes applicables aux collectivités territoriales : face à l'addiction, osons une thérapie de choc ! »

Ils tirent la sonnette d’alarme en rappelant que « le Code général des collectivités territoriales a triplé de volume entre 2002 et 2022 ». Quant au Code de l'urbanisme, il est « passé de près de 185.000 mots, au 1er janvier 2012, à environ 265.000 mots, au 1er janvier 2022, soit une augmentation de quelque 44 %. » Résultat de cette fièvre normative, un encombrement qui nuit à l’efficacité de l’action publique et aboutit à des situations incongrues : « Avant, les élus cherchaient ce qui était interdit, aujourd’hui, ils cherchent ce qui est autorisé », souligne Françoise Gatel sur la chaîne Public Sénat. Les sénateurs stigmatisent même « une croyance quasi mystique dans la norme miraculeuse qui protégerait, voire guérirait ». Après l'argent magique, il y aurait donc la norme « magique afin de donner l'impression, voire l’illusion, qu’ils ont réglé la question dans l’intérêt général ». Les deux sénateurs écrivent ainsi noir sur blanc que les pouvoirs publics, « quand ils ne savent pas répondre à une question, qu’ils veulent répondre à une "émotion" ou qu’ils manquent de moyens financiers... », créent une norme.

Constitution et bloc de constitutionnalité (Déclaration des droits de l’homme, Charte de l’environnement), traités, accords internationaux, droit communautaire européen, lois, ordonnances, principes généraux du droit, décrets, arrêtés, différents actes réglementaires des collectivités locales et des établissements publics, contrats et conventions bi ou multilatérales, circulaires, directives… Même si ce chiffre n'est pas le fruit d'un recensement précis, on estime à environ 400.000 le nombre de normes juridiques applicables aux collectivités ! Pour illustrer ces lourdeurs administratives qui étouffent les élus, ­Alain ­Lambert, président du Conseil national d’évaluation des normes (CNEN), résumait, dans La Gazette des communes : « Les lois font l’objet de décrets d’application qui, eux-mêmes, renvoient à des arrêtés dans lesquels il y a des annexes qui sont ensuite expliquées dans des circulaires. » Un exemple parmi d'autres de normes absconses ? Le décret du 22 octobre 2010 imposait aux nouvelles constructions une réglementation antisismique... dans des zones qui n’ont jamais connu de secousses sismiques !

Non seulement l'inflation normative alourdit considérablement l'action publique et constitue un frein au développement des territoires (lorsqu'il s'agit, par exemple, de respecter les objectifs environnementaux), mais elle pèse également sur le coût des communes : entre 2017 et 2021, elle aurait ponctionné près de 2 milliards d'euros ! Les sénateurs rappellent que « la loi doit avant tout permettre et non entraver ».

Pour alléger ce poids technique et juridique, les sénateurs ont émis des préconisations. En premier lieu, ils souhaitent que le gouvernement donne au Parlement plus de visibilité sur les textes envisagés, de façon à « réfléchir à des propositions alternatives à droit constant, sans création de normes nouvelles ». En second lieu, et si la création de la nouvelle norme est vraiment nécessaire, le rapport propose que cette dernière soit soumise au Conseil national d'évaluation des normes qui apportera un « regard extérieur indépendant et impartial » sur l'étude d'impact. Par ailleurs, l'évaluation de cette forêt de normes ne doit pas s'effectuer uniquement avant leur adoption mais également après : le rapport en appelle, du coup, à des « clauses de réexamen et, le cas échéant, en dernier recours, des clauses "guillotine" » qui permettraient, en cas d'évaluation négative, de supprimer la norme inutile. Enfin, les sénateurs souhaiteraient instituer au Sénat « une fonction de veille et d'alerte au service des commissions permanentes compétentes, le plus en amont possible de la production des normes applicables aux collectivités territoriales ».

Le texte présenté jeudi au Sénat est le fruit d’une consultation des élus locaux. Il doit conduire à des états généraux de la simplification des normes applicables aux collectivités territoriales le 16 mars prochain. Pour Françoise Gatel, il s’agit d’aboutir à une « sobriété normative ». Reste à savoir si la démarche atteindra son objectif et si l’on peut vraiment dégraisser le mammouth normatif. Car, déjà en 2011, le Sénat avait adopté la proposition de loi de simplification des normes applicables aux collectivités locales. Depuis dix ans, la situation n'a cessé d'empirer…

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Iris Bridier
Journaliste à BV

Vos commentaires

22 commentaires

  1. Ces deux sénateurs semblent s’apercevoir que l’eau mouille. On ne les entend pas sur la suppression des consultations publiques préalables à la construction de parc éolien. Nous ne sommes plus dans un état de droit quand certains sont bloqués par des normes et d’autres avancent en toute impunité au mépris des consultations citoyennes.

  2. ENFIN ! Il serait temps de « dégraisser le mammouth ». Trop de normes qui asphyxient la créativité et coûtent un pognon de dingue. (aussi bien aux communes qu’au particulier)…….. le plus souvent pour enrichir des lobbys bruxellois qui proposent des lois et normes « clés en main » à une commission européenne qui « s’autorise à penser dans son milieu autorisé ». Où est le temps béni où chacun pouvait construire sa propre maison selon son goût et son budget ? sans s’occuper de ce fatras de règlementations absconses et inutiles ?

  3. Les normes trop nombreuses sont trop contraignantes et interdisent toute possibilités de création d’entreprises au fur et à mesure de leur nombres de plus en plus importantes sinon de tomber dans l’illégalité. Les opportunités ne peuvent se réaliser que dans les interstices des règles existantes; Ceux qui recourent au entreprises de travail au noir ne le savent que trop bien !!! Et la France cumule entre lourdes taxes et surenchère de normes !

  4. Cet article est intéressant. On peut, en guise de commentaire, rappeler que les Britanniques, dans la foulée du brexit, ont décidé de revoir (et supprimer la quasi totalité) des 40 000 règles, qu’on peut assimiler à des normes, héritées des directives de l’Union Européenne. Face à cette avalanche de normes, il faut aller bien au delà des petites mesures que préconise le Sénat et déclarer par exemple que toutes les normes existantes seront abrogées (à telle date) automatiquement, si elles ne sont pas expressément prorogées; ça fera du nettoyage.

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