Sécurité : enfin le début de la reconquête, à Nice ?

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La ville de Nice, ces derniers jours, a été, si j'ose dire, au centre de l'insécurité et de la sécurité.

Au centre de ce qui gangrène un certain nombre de cités et de quartiers français et de ce qui devrait être accompli pour relever le défi de ces désordres et de ces violences quasi institutionnalisés. On les considère en effet comme inéluctables, au nom d'un fatalisme constituant la République comme le régime de l'impuissance et notre pays comme le triste exemple d'un masochisme consenti : laissons-nous dépasser, déborder par ce qu'on n'a pas eu le courage d'interdire ; depuis si longtemps !

D'abord Nice, donc. Hommage à son maire Christian Estrosi qui s'est rendu avec le préfet dans le quartier des Moulins où le trafic de drogue sévit, où une fusillade a éclaté en plein jour devant un supermarché, à quoi il faut ajouter que, quelques heures avant l'arrivée du Premier ministre, un homme a été découvert lardé de coups de couteau, cité de l'Ariane (Le Parisien).

Cette rencontre du maire avec les habitants, des jeunes et des voyous du quartier des Moulins, a commencé à peu près correctement puis a dégénéré avec des cris, des insultes et un affrontement rendant tout dialogue impossible. J'allais dire : heureusement, car la démonstration était faite qu'une politique de présence et la présence de politiques dans des lieux interdits d'accès par la racaille étaient le début modeste, certes, mais indispensable de la reconquête. Dramatique de devoir évoquer une reconquête de certains territoires sur le territoire national, mais on en est là !

Des renforts de police ont été immédiatement accordés et une série de mesures annoncées qui, toutes, visent un changement radical. Avec pour seul souci l'efficacité, il s'articulerait sur deux pensées fortes du Premier ministre : « La seule loi qui vaille, c'est celle de la loi républicaine et de l'État de droit » et, ce qui est moins banal, « L'important dans une peine, ce n'est pas sa sévérité mais sa certitude. L'État, faute de moyens suffisants, a laissé s'installer l'incertitude. »

Une meilleure coordination sera assurée entre la police nationale et les policiers municipaux avec des pouvoirs étendus. Dès la rentrée, les amendes forfaitaires pour consommation de drogue - une excellente initiative avec une sanction enfin certaine si la répression du trafic, capitale, n'est pas négligée - seront effectives.

Bientôt, la construction à Nice d'une prison de 650 places sera entreprise.

L'implication nécessaire et audacieuse du maire de Nice a été suivie, on l'a vu, par la venue du Premier ministre, accompagné du ministre de l'Intérieur et du garde des Sceaux.

Tout cela est bel et bon, me rétorquera-t-on, mais ne concerne que Nice dont l'édile n'a jamais été en retard sur le plan de la lutte contre l'insécurité. Je comprends les craintes, tant notre démocratie est capable de se mobiliser intensément le temps d'une indignation, pour s'amollir l'heure d'après.

Pour que Nice ne soit pas un feu de paille mais l'émergence d'un sursaut français, il faut que tous les maires suivent l'exemple de Christian Estrosi. Et que l'État, dans les quelque 200 lieux (c'est à la fois beaucoup et peu si la volonté de les éradiquer s'affirme sans complaisance) identifiés comme des abcès infectant la tranquillité nationale, fasse preuve de la même démarche concertée que celle dont il a usé à Nice.

Le propos du Premier ministre ne doit pas demeurer au niveau du verbe qui peut rassurer dans l'instant mais qui accentuera le désespoir civique s'il n'est pas incarné.

Tout ce qui a été proclamé à Nice devra être généralisé aussi bien pour l'esprit que pour l'action. Il n'est pas tolérable que la France accepte de laisser pourrir la vie d'une multitude d'honnêtes gens par une minorité dévoyée de hors-la-loi et de voyous. Tout cela à cause de politiques lâches ou complices qui obligent la police résignée à seulement se tenir aux frontières du Mal ou persuadée qu'en se colletant avec lui, le soutien du pouvoir lui manquera, qu'il soit de droite ou de gauche. Cela n'a été que trop évident au fil d'exemples multiples.

Quand le ministre de l'Intérieur dénonce l'« ensauvagement » de la France, il a raison. Ce n'est pas en ressassant le vivre ensemble, comme s'il était encore d'actualité et pas gravement, et de plus en plus, mis à mal, qu'on remettra notre société à l'endroit. C'est en acceptant le constat lucide d'un réel lamentable, en le nommant, qu'on se donnera les chances de vaincre ce poison.

Qu'on ne s'y trompe pas : que l'équipe « régalienne » d'aujourd'hui ne soit pas découragée - et j'ose y inclure le président de la République malgré son peu d'appétence pour le discours d'autorité qui n'est décidément pas sa langue naturelle - en se disant qu'on n'a jamais su et pu réussir ce qu'on attend, ce qu'on espère d'elle.

Parce qu'au vrai, cela n'a jamais vraiment été tenté, ni même eu un commencement de preuve opératoire. La reconquête de la France par elle-même, assumée, menée à bien, serait son triomphe exclusif. Et appellerait une reconnaissance toute neuve, faute d'avoir jamais pu s'exprimer. Le peuple n'y croit plus mais serait tout prêt à applaudir une fermeté efficace et durable qui lui donnerait tort.

Enfin, face à ce désastre du quotidien - délits, crimes, insécurité chronique, justice parfois laxiste, incivilité du dérisoire, arrogance de transgresseurs sûrs de leur impunité dans leur royaume protégé -, j'avais un temps rêvé d'une démocratie tellement peu ressemblante qu'elle n'aurait pas été loin de donner tous les pouvoirs dans les cités et quartiers aux mains de la malfaisance à des proconsuls qui, libres de tout mettre en œuvre, auraient éradiqué le pire pour créer, à toute force, le meilleur.

Ce ne serait plus la démocratie dans sa pureté, dans son authenticité imparfaite mais irremplaçable.

Si l'État veut se faire le fourrier d'une République à ce point exaspérée qu'elle exigerait tous les extrémismes, qu'il fasse de Nice un feu de paille au lieu de le constituer comme l'aurore d'un sursaut français !

Philippe Bilger
Philippe Bilger
Magistrat honoraire - Magistrat honoraire et président de l'Institut de la parole

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