[Réaction] Syndicats à Matignon : « Ce rendez-vous est un échec »

J Thouvenel

Le directeur de la rédaction de Capital social, également secrétaire confédéral de la CFTC, est revenu sur la rencontre entre Élisabeth Borne et les responsables syndicaux. Une rencontre pour rien, puisque le gouvernement campe sur ses positions et les syndicats ne désarment pas.

Marc Eynaud. Après plusieurs semaines de crise sociale, Élisabeth Borne a reçu les syndicats à Matignon. Où en est le dialogue social entre les syndicats et le gouvernement ?

Joseph Thouvenel. Mme Borne vient de nous donner une réponse très claire, ce rendez-vous est un échec. Les syndicats s’en vont en disant qu’ils ne bougent pas, et le gouvernement ne bouge pas. Et Mme Borne dit que les échanges ont été fructueux… Il va falloir changer de vocabulaire ! C’est un échec, il y a un blocage rarement vu entre l’ensemble des organisations syndicales et le pouvoir sur un sujet qui demanderait à être plus travaillé. Le projet de loi n’était pas bon, ne serait-ce que pour les mères de famille par exemple, avec les femmes ayant arrêté de travailler pour élever leurs enfants. Après avoir déposé le projet de loi, le gouvernement se rend compte que les mères de famille sont pénalisées. C’est un peu de l’amateurisme.

Y a-t-il urgence à réformer notre système de retraite ? Le déficit des caisses de retraite, toutes confondues, public et privé, est en excédent de 900 millions en 2021 et, en 2022, ce sera vraisemblablement un excédent de plus de 3 milliards. Il n’y a donc pas d’urgence. Il y a un extraordinaire échec du dialogue social dans notre pays.

M. E. Pourquoi continuer cette partie de bras de fer qui ne mène nulle part ?

J. T. Il y a sans doute une partie idéologique, avec des gens qui ne sont pas dans le concret, dans le réel. Il y a une autre partie liée à un caractère : « J’ai décidé, je ne céderai pas. » Enfin, il y a une troisième partie qui consiste à faire plaisir à Bruxelles. Tout le monde sait que la France a un déficit qui ne cesse de se creuser et Bruxelles demande de prendre des mesures pour lutter contre ce déficit. Emmanuel Macron et le gouvernement se sont mis en tête que ce déficit serait réglé par les retraites. Or, le déficit ne vient pas essentiellement des retraites. En 2020, il était de 13 milliards. Si on le compare avec le déficit de la balance commerciale, de 166 milliards, où est la priorité ? La priorité est de retrouver de l’emploi, notamment pour les seniors.

M. E. N’était-ce pas l’occasion d’ouvrir un vrai débat sur le rapport au travail dans la France de 2023 ?

J. T. Il y a deux choses. Un premier débat, strictement sur les retraites, était nécessaire aujourd’hui : considérer que deux personnes qui avaient le même travail pendant le même nombre d’années, avec le même diplôme, devaient partir à la retraite à peu près au même moment et dans les mêmes conditions, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Par exemple, les infirmières du public et du privé. Les unes peuvent partir à taux plein 18 mois avant les autres, avec plus de 500 euros par mois de retraite supplémentaire. On voit que c’est injuste.

L’autre débat est celui sur la valeur travail. On voit arriver ce droit à la paresse qui n’a rien à voir avec le droit au repos. Pour le gouvernement, le travail est juste un rapport entre une puissance physique et intellectuelle contre rémunération. Or, le travail, c’est bien autre chose. Le travail, c’est participer au bien commun, être co-créateur. Si, parfois, les personnes perdent le goût du travail, c’est qu’elles sont traitées comme des objets, que l’on prend et que l’on jette. Le débat devrait être celui-ci : comment faire que chacun, dans son travail, se sente co-créateur et participe au bien commun ? Ce serait une vraie révolution. L’enjeu est de retrouver le sens du travail, le sens de l’effort qui sert au bien commun. Or, aujourd’hui, le discours est hyper individualiste, y compris du côté gouvernemental. Cela ne pousse pas à faire un effort particulier. Si je n’ai pas la notion de la nation, d’être un héritier des générations précédentes, alors je n’ai pas la notion de participer au bien commun, de prendre ce que l’on m’a transmis et de le transmettre aux générations suivantes. Aujourd’hui, le langage de la Macronie est mondialiste et ne parle pas de ces valeurs et donc de la réalité de la valeur travail.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 07/04/2023 à 11:16.
Marc Eynaud
Marc Eynaud
Journaliste à BV

Vos commentaires

12 commentaires

  1. Sans jeux de mots la Borne est dépassée. Dépassée par le poids de sa charge, dépassée par les enjeux et les conséquences de l’impasse dans laquelle elle se trouve et surtout larguée par le fait que personne ne semble lui avoir expliqué la différence entre pouvoir exécutif et législatif. En disant que les 64 ans n’étais pas négociable elle à fait un immense bras d’honneur à la démocratie et à la représentation du peuple par l’assemblée. Il ne faut pas quelle s’étonne de l’antipathie quelle suscite. Cette mascarade de dialogue avec les syndicats ne pouvait être que stérile. Il lui faudrait songer à la démission et a se faire oublier au plus tôt.

  2. Oui, mais il y’a un biais de pensée, en disant  » Le déficit des caisses de retraite, toutes confondues, public et privé, est en excédent de 900 millions en 2021, et en 2022, ce sera vraisemblablement un excédent de plus de 3 milliards. « , on noie le poisson, ce qui n’est pas juste. Parce que les caisses du privé sont excédentaires et que celles des régimes spéciaux sont pour la plupart déficitaires. Et on voudrait prendre au privé pour renflouer les autres caisses. Hé bien non, que chaque caisse se débrouille avec ses propres moyens, s’ils veulent partir plus tôt ils doivent en assurer les pensions eux-mêmes, à moins d’adhérer à un régime général avec les mêmes conditions. Ce qu’il dit d’ailleurs ensuite « considérer que deux personnes qui avaient le même travail pendant le même nombre d’années, avec le même diplôme, devaient partir à la retraite à peu près au même moment et dans les mêmes conditions, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. »

    • Vous avez raison; et il a raison. Avec une nuance: le degré d’investissement ( de « rentabilisation » du diplôme – pour le bien commun, s’entend) de chacune de ses 2 « carrières » à trajectoires semblables. Degré qui n’a rien à voir avec les promotions internes ou autres, toujours « à la tête du client » et à la main des arrivistes. Dans « investissement » j’entends: les efforts de mutations et d’adaptation; les déménagements « au pied levé » avec gestion discrète de l' »intendance »; le degré d’abnégation; les horaires ( amplitudes ; jours de congés)

  3. « Emmanuel Macron et le gouvernement se sont mis en tête que ce déficit serait réglé par les retraites.  »
    Donc, si je comprends bien, ils se sont mis en tête de piquer nos cotisations de retraites (et donc vider les caisses de retraites) afin de combler une partie du déficit, déficit du à une gouvernance économique idiote, basée sur des préférences anti françaises, dictées par les EU et l’UE).

     » le langage de la macronie est mondialiste et ne parle pas de ces valeurs et donc de la réalité de la valeur travail. » = hélas oui!

  4. Monsieur Thouvenel a certainement raison sur le fond. Reste que « le travail » comme il l’entend a cessé d’exister depuis les années 70 : On est passé du travail à l’emploi puis de l’emploi aux prestations de service rémunérées.  » Tu- fais-le-job », je te paie et on est quitte .

    • Exact ! Il n’y a quasiment plus de boulot en France : on est : soit fonctionnaire, soit cuistot, serveur, livreur, animateur GO, ou vague intermédiaire commercial/pub : où sont nos artisans ?

  5. Résumé de la rencontre du 3ème type : « Bonjour Madame, vous avez dépassé les Bornes ! Au revoir Madame ! »
    Quelle perte de temps !

  6. Et Macron parle encore des affaires internes de la France depuis l’étranger : c’est une manie chez lui

    • Sauve qui peut! Là au moins où il se trouve, il n’a pas besoin d’hélicoptère pour se sauver et peut suivre de loin le déroulement des évènements. Corrompu… Lâche…Peureux…Méprisant. Un costume sur mesure dans lequel il se sent encore à l’aise pour le moment.

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