Bricoler sur les chiffres des manifestations, c'est de bonne guerre. C'est l'exercice obligé de tout pouvoir face à des mouvements sociaux. Et le gouvernement actuel, par la voix de Christophe Castaner, s'y adonne tous les samedis depuis trois mois. Plus ancien monde que ça, on ne connaît pas. Mais mentir sur les victimes, leur nombre et la nature de leurs blessures, c'est franchir un nouveau pas et entrer dans une dangereuse dérive, surtout quand on est ministre de l'Intérieur. C'est pourtant ce qu'a fait, mardi soir, Christophe Castaner à l'Assemblée nationale, où il a déclaré :

"Oui, il y a des blessures graves, des blessures graves dans les forces de l’ordre, des blessures graves dans les manifestants. Il y a dix personnes qui sont décédées depuis le début des “gilets jaunes”. Il y a aussi des manifestants qui ont été blessés par l’utilisation des armes de défense de la police et de la gendarmerie dans le cadre de leur utilisation. Selon les dossiers qui me sont remontés, quatre personnes ont été frappées violemment à la vision – on parle de perte d’œil, je préfère ne pas reprendre ce terme-là, mais il y a actuellement quatre personnes qui ont eu des atteintes graves à la vision, certains pouvant éventuellement perdre un œil."

À se demander si le "premier flic de France" est bien renseigné ou s'il se moque du monde !

Certes, si l'on peut effectivement débattre du nombre de manifestants à quelques milliers près, le nombre de blessés ayant perdu un œil est, lui, connu avec précision, objectif, reconnu par des sources différentes. Comme l'a rappelé Le Monde par ses "Décodeurs", ce sont au moins 14 personnes qui ont perdu un œil par un tir de LBD 40. Et l'on compterait, actuellement, 17 personnes ayant perdu un œil. Dire que Christophe Castaner « sous-estime » les chiffres, comme l'écrivent gentiment ces mêmes Décodeurs, relève du doux euphémisme. Pour un gouvernement qui a osé légiférer sur les « infox », c'est le comble. Le Monde a précisé que Christophe Castaner n'avait comptabilisé que les mutilations faisant l'objet d'une enquête de l'IGPN. C'est donc sous la pression des dizaines de dossiers de l'IGPN (et d'autres pourraient suivre) et des réseaux sociaux que le pouvoir est obligé de reconnaître, mais toujours en retard et toujours en pratiquant l'omission et en minimisant la réalité et l'ampleur de ces mutilations.

Les circonvolutions sémantiques du ministre (ses « pouvant éventuellement ») quant à la nature de ces mutilations sont insupportables, et d'abord pour les victimes, comme Fiorina, dont on a pu entendre les témoignages bouleversants. Tout le monde sait que contester la réalité d'une blessure et donc le statut même d'une victime, comme c'est le cas ici puisqu'il n'arrive pas à compter jusqu'à 15, c'est faire subir à la victime une seconde agression - morale.

Samedi dernier, des slogans nouveaux étaient apparus visant Christophe Castaner et posant la question des pratiques et des ordres ayant abouti à de telles mutilations. Il se pourrait, désormais, qu'Emmanuel Macron ne soit plus seul dans le violent rejet qu'il suscite chez les manifestants, mais aussi chez un grand nombre de Français. Les omissions et négations de Christophe Castaner sur le nombre et la réalité de ces terribles atteintes ne peuvent, en effet, que remplir d'indignation les gilets jaunes mais aussi tous les citoyens de bonne foi.

L'affaire ne serait pas si grave, on aurait envie de suggérer à Castaner de s'offrir les services d'un ophtalmologiste.

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23 janvier 2019 à 18:19

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