Proportionnelle : Point trop n’en faut. On ne sait jamais, davantage aurait pu rendre l’institution parlementaire plus convaincante…

Le président du Sénat, Gérard Larcher, a quasiment gagné et François Bayrou clairement perdu.

Pourtant ce dernier aurait dû l'emporter et persuader le gouvernement que la bonne dose de proportionnelle était de 25 % - la même que souhaitait François de Rugy - et non pas de 10 % que Gérard Larcher avec son forcing rêvait de maintenir à ce niveau médiocre. On ira, paraît-il, jusqu'à 15 %, ce qui dans la nouvelle Assemblée nationale de 2022 comportant 404 députés, ne permettra l'élection à la proportionnelle que de 61 députés.

Mi-chèvre mi-chou. Point trop n'en faut. On ne sait jamais, davantage aurait pu rendre l'institution parlementaire plus convaincante, encore plus représentative, plus excitante dans ses débats, moins caricaturale dans ses postures.

On aurait pu avoir une authentique Assemblée nationale et non pas cet amas majoritaire qui, pour être en marche et guidé par quelques éclaireurs, ne donne pas une superbe impression de notre démocratie.

Pourtant le président du Sénat craignait que plus de proportionnelle n'altérât les bienfaits inouïs du scrutin majoritaire, l'essentiel étant d'avoir une majorité, sa substance, sa richesse et son fonctionnement comptant peu. Comme on nous a manipulés avec cet éloge obsessionnel de notre système électoral dont on avait fini par penser qu'il nous offrirait comme par principe un aréopage exemplaire, digne de ce nom et dont le citoyen aurait le droit d'être fier !

Si on a eu de la stabilité, on a eu de la médiocrité, on n'a pas eu de la qualité, on a eu du bruit, parfois de la fureur, des comédies puériles et des oppositions outrées. Il y a eu de l'intelligence quand on consentait à écouter l'autre et qu'on acceptait l'idée que, sans être de la majorité, il pouvait cependant favoriser la réflexion collective. Intolérance, division, antagonismes artificiels, postures mélodramatiques, trop souvent dénuées de talent et de véritable conviction, enfermement dans les réflexes partisans - c'était donc cela, les effets si bienfaisants de notre système majoritaire ? Du chiffre, du nombre mais quelle plus-value pour la République ?

On déplore de plus en plus la démobilisation de l'électorat, l'hostilité manifestée par beaucoup à l'égard de la politique, la violence et la haine des marges, des périphéries, le sentiment d'abandon et donc d'amer et furieux désespoir de trop de gens exilés de leur propre pays, dépossédés de ce qui longtemps avait constitué leur vie, on déplore le délitement de la démocratie qui juxtapose une France officielle, en quelque sorte légale, de plus en plus réduite et une France réelle éclatée en mille colères et d'abord celle d'être laissée aux portes de la parole, du débat, de la décision et de la République.

Je ne dis pas que la proportionnelle constituerait le remède absolu, un élixir de jouvence démocratique. En revanche il est certain que permettre la présence à l'Assemblée d'un nombre conséquent de députés en rapport avec le poids électoral des forces les soutenant aurait un effet décisif.

L'aura sulfureuse flattant les exclus du jeu politique s'effacerait au profit d'une obligation de confrontation, de dialogue et d'élaboration qui changerait la donne. Devenus inclus, au moins sur le plan parlementaire, et de manière équitable, les groupes d'hier participeraient à une vie républicaine que laissés-pour-compte ils n'avaient pas d'autre ressource que de vilipender, avec excès parce qu'ils feignaient de mépriser ce dont on les privait par une logique qui n'était pas conforme à l'esprit de la démocratie.

L'Assemblée nationale ne serait plus ce théâtre qui, écartelé entre un pouvoir impérieux et une majorité inconditionnelle, au mieux n'intéresse plus le citoyen, au pire le dégoûte.

J'imagine quel apaisement naîtrait dans le pays qui verrait, grâce à cette France si justement représentée à l'Assemblée, ses attentes, ses revendications, ses envies de changement et ses exigences reprises, assumées, discutées et éventuellement votées.

Le scrutin majoritaire nous servira à quoi quand la France, celle diverse et contrastée, bienveillante ou non, qui respire, se bat, bouge ou non, se dispute, manifeste, se hait, a peur, admire ou non, appréhende le futur, sera en mille morceaux ?

Philippe Bilger
Philippe Bilger
Magistrat honoraire - Magistrat honoraire et président de l'Institut de la parole

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