[Point de vue] Le RN, la normalisation et l’esprit du temps

Capture d’écran
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En juillet 2022, Hervé Juvin, député européen (Identité et Démocratie) proche du RN, donnait une interview au magazine Le Point dans laquelle il analysait les résultats des législatives. Il expliquait que, face à un Éric Zemmour qui entretenait un rapport nostalgique à la France, Marine Le Pen apparaissait comme « une femme moderne ». Bien sûr, le candidat de Reconquête parlait avec talent de la France des clochers et des années de Gaulle, mais il fallait être lucide, « on n’y [reviendrait] pas » C'est d'ailleurs ainsi qu’il fallait comprendre l’évolution du RN sur les grandes questions sociétales ravivées par la Manif pour tous ou les débats sur l'avortement : « Le pouvoir politique peut accompagner, corriger ou orienter, mais il ne les maîtrise pas [ces questions, NDLR]. » Même constat, enfin, pour l’immigration. Le regard et le discours sur cette thématique avaient aussi évolué en profondeur au RN car « beaucoup sont en France qui ne viennent pas de France, et il faudra bien faire avec eux ». En conclusion, Éric Zemmour, avec ses positions radicales, avait rendu un grand service à Marine Le Pen en révélant qu’elle était « une femme de son temps ». On en déduisait que, face aux évolutions du temps, le politique n’avait donc d’autre choix que de se résigner : « on ne peut pas y revenir », « on ne maîtrise pas », « il faudra bien faire avec ».

Quelques mois plus tard, Louis Aliot, dans une tribune au journal L'Opinion, s’en prenait à son tour à Éric Zemmour et à sa « nostalgie radicale ». Il fallait, en effet, se défaire de la nostalgie « d’une France qui n’existe plus », parler aux Français « de toutes origines et de toutes religions » et s’élancer vers une « modernité pragmatique ». Louis Aliot est aussi un homme de son temps.

C’est peut-être ça, finalement, la « normalisation » : rentrer dans la norme idéologique de son époque. Hervé Juvin en a très bien expliqué les raisons au journaliste du Point à propos de l’évolution du discours du RN contraint de s’adapter « à la restriction du champ autorisé des débats et des opinions, un champ qui s'est extraordinairement réduit sous l'effet d'une censure informelle, mais efficace, et qui ne cesse de se resserrer ».

Il est vrai que les ùaîtres censeurs veillent à ce que certains sujets ne soient jamais débattus, qu’il s’agisse de l’alignement atlantiste de notre politique étrangère, de l’immigration, de l’islam, de la théorie du genre ou encore de l’avortement. Transgresser ces grands tabous, c’est s’engager sur le chemin de la marginalisation et de la diabolisation. C’est sortir de la « norme », s’extraire du temps présent.

Oui, mais rétorquera le politique, c’est comme ça que l’on rassemblera et que l’on accédera au pouvoir. C’était bien tout le sens de l’appel du maire de Perpignan à un Bad Godesberg de la droite nationale qu’il ne faudrait surtout pas réduire à un phénomène politique secondaire. La tribune de Louis Aliot a parfaitement illustré l’aboutissement et les limites du processus de « normalisation ». Hier avec la question du « Grand Remplacement », aujourd’hui avec celle de l’avortement.

« Sur l’IVG, Marine Le Pen change de position et propose de constitutionnaliser la loi Veil », titrait Le Monde, le 22 novembre dernier. Le journal voyait dans ce revirement la fin d’une valse-hésitation, témoignant de son inconfort.
Prudente stratégie, jugeront certains. Le RN ne tombe pas dans le piège qui lui est tendu et, à en croire Le Monde, Marine Le Pen ne risque pas ainsi d’être étiquetée « pro-vie ». Désignation infamante qui vous conduit tout droit dans le camp des « radicalisés ». Bruno Bilde, député RN du Pas-de-Calais, s’en est félicité : « La réponse de Marine Le Pen est très habile. Et cela correspond surtout à ce que pensent nos électeurs, contrairement à certaines positions réactionnaires. »

On peut y voir plutôt un symptôme. Celui d’une vie politique soumise à « l’esprit du temps » et où toute dissidence idéologique conduit inéluctablement au bannissement. Il faut donc rentrer dans le rang. Éviter les enjeux civilisationnels et sociétaux. Et, à vrai dire, qui s’intéresse encore à la question du statut de l’embryon humain ? Interdiction de débattre ou de s’interroger. Question dépassée, passez votre chemin ! Laissez les citoyens tranquilles ! Il y a des associations militantes et des lobbies pour discuter de tout ça et faire évoluer les mœurs dans la bonne direction. D’ailleurs, les sondages le répètent : la seule chose qui intéresse les électeurs, c’est le pouvoir d’achat.

Frédéric Martin-Lassez
Frédéric Martin-Lassez
Chroniqueur à BV, juriste

Vos commentaires

37 commentaires

  1. Et quand avez vous essayer d’attaquer le « societal » avec des argument compréhensibles par les « cons qui votent ( georges frêche) pourquoi n’osez vous jamais parler d’esclavagistes pour des achats d’êtres humain (GPA, Migrants???) Malheureusement les seuls a à être capables de faire machine arrière sont les musulmans (quand la france sera un califat….ce qui ne saurait tarder!) Car c’est écrit dans le coran ! verset 17-31 « Et ne tuez pas vos enfants par crainte de pauvreté ; c’est Nous qui attribuons leur subsistance, tout comme à vous. Les tuer c’est vraiment un énorme pêché ».
    Mais même le pape étant dans le sens du vent!………

  2. Les questions sociétales sont le fondement de la civilisation, changer d’avis pour rester dans le sens donné par une minorité revient à jouer les girouettes. Non, il y a des choses dans la société qui sont intangibles et notamment dans notre culture qui est de protéger le faible. L’embryon humain fait parti de ceux que nous devons défendre. Même si je comprends le discours de madame Le Pen qui croit qu’en inscrivant l’IVG dans la constitution cela permettra de garantir le délai, elle se trompe car si la constitution est aujourd’hui modifiée, demain il pourra en être de même.

  3. 555 voix plus 1 des Parlementaires sont nécessaires pour changer la Constitution, réunit en Congrès A.N. et Sénat. L’Avortement Constitutionnalisé ce n’est pas encore fait.

  4. Peine de mort constitutionnalisé pour les pro-avortement et contre la peine de mort pour les criminels ! Cherchez l’erreur !, et Les O.Q.T.F. en liberté… Interdire les corridas, protéger les animaux, et constitutionnaliser l’avortement, alors qu’il y a tant d’assistance, d’aides à la contraception…Le Peuple ne sait pas qu’il est de plus en plus assisté, à tous les instants, mettant sa vie entre les mains du Pouvoir, et Il en a abusé avec les Confinements pourtant inconstitutionnels. Bientôt l’Euthanasie au Programme. Donc le Pouvoir dira combien de bébés peuvent naitre et combien de vieillards auront le droit de vivre. Ils verront ? Il sera trop tard pour venir se plaindre…

  5. Qu’est-ce donc que cette « normalisation » dont se pavane LE PEN, un reniement de la dénonciation des effets suicidaires d’une immigration massive pour notre Pays dénoncée par son père et du terme « Souveraineté » combattu par le numéro 2 du FN qu’à été Phlippot ? Faut reconnaître que les raisons de voter pour le RN…s’estompent.

  6. Moi je m’y intéresse, au statut de l’ embryon, et du fœtus, et du soi-disant presque nouveau né, puisque c’est de cela qu’il es question aujourd’hui. Personne pour s’en offusquer.
    Qui pense que nous construisons ainsi, en acceptant l’air du temps, un sinistre avenir pour nos enfants.

  7. Cela s’appelle de l’opportunisme…Le RN s’adresse à un peuple éduqué à ne plus réfléchir. Trop fatigant. Et tellement utile!

  8. Il faut choisir : faire de la politique qui est la conquête du pouvoir en gagnant une majorité dans des élections avec le parti national ou se faire plaisir avec de la purification idéologique et rester dans l’impuissance politique comme l’a brillamment démontré Éric Zemmour.

  9. J’avais lu dans vos lignes que le « revirement » de Marine Le Pen était stratégique et je le trouvais intelligent. Je précise que j’ai fait toutes les manifs anti loi Veil et toutes (ou presque) les manifs pour tous. Mais il n’y a aucune chance d’empêcher l’inscription de l’avortement dans la constitution avec les seules voix du RN. Proposer l’inscription de la loi Veil dans sa rédaction originelle permet de sauver la clause de conscience et de restreindre les délais légaux qu’on ne cesse de vouloir étendre. une sorte de pare feu en somme.

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