Dans le conflit qui s'envenime entre Paris et Ankara, la presse française s'est félicitée, en divers articles, des soutiens que Macron a recueillis de ses partenaires européens, en particulier de Rome, Athènes et Amsterdam, aux avant-postes pour condamner Erdoğan. Mme Merkel a, elle, fait le service minimum et jugé les propos du président turc « diffamatoires ». Mais à part des effusions verbales, que fait donc l'Union européenne pour défendre la France et, au-delà, le modèle de société libéral qui est le nôtre ? Qui se souvient des arguments usés et abusés jadis par nos médias et politiques pour nous vendre l'Union européenne qui, seule, pouvait faire de nous une grande puissance capable de rivaliser avec les États-Unis, la Chine et la Russie ?

« Face aux empires, il faut s'unir, ou périr », nous disait-on, en plein référendum de Maastricht, puis lors des débats sur la Constitution européenne. Résultat : non seulement nous ne rivalisons pas avec la Chine ni avec les États-Unis, non seulement nous sommes toujours plus à la botte de la diplomatie américaine, mais nous voilà à présent agressés, non par une grande puissance, mais par une puissance régionale, la Turquie, dont le PIB ne dépasse pas le tiers du nôtre. Une puissance islamiste dont le président Erdoğan affirme ouvertement la vocation à convertir l'Europe et revendique même, sans mettre de gants, des territoires européens : Kosovo, Albanie, Bosnie et d'autres encore. Une puissance islamiste qui, en quelques mois :

- a attaqué au nord de la Syrie, menaçant une paix qu'il a fallu dix ans à réinstaurer ;
- a agressé le peuple kurde qui s'est montré héroïque dans la lutte contre Daech ;
- a attaqué la Grèce via les dizaines de milliers de migrants envoyés sur ses côtes, au mépris des accords signés avec l'Allemagne et l'Union européenne pour garder, moyennant finances, ces réfugiés sur son territoire ;
- a attaqué les intérêts français, grecs et italiens au large de Chypre ;
- a soutenu, via 7.000 miliciens partis d'Ankara, le régime de Sarral à Tripoli contre le maréchal Haftar, qui avait les faveurs de Paris et Rome, entre autres ;
- a réactivé une guerre au Haut-Karabach entre Arméniens et Azéris ;
- a financé des écoles coraniques, des mosquées radicales.

Le tout sans aucune réaction, ou presque, de Paris ni de Bruxelles, et encore moins de Berlin. Erdoğan n'a pas attendu d'entrer dans l'Union européenne pour se comporter en puissance assumée ; à lui tout seul, il tient en échec ce qui devait être une des principales puissances du monde.

La France est aujourd'hui boycottée, sur initiative d'Ankara, par plusieurs pays musulmans. Pour le moment, à part le rappel de notre ambassadeur en Turquie, on ne saisit pas en quoi consiste notre réplique : sanctions économiques, fermetures de mosquées, d'écoles Millî Görüş, expulsions de ressortissants turcs, on ne voit rien venir, comme si nous étions désarmés. Le front européen anti-Erdoğan se limite à des incantations. Macron et l'Union européenne affrontent un ennemi déclaré avec de belles paroles mais peu d'actions. L'Union européenne n'est pas une puissance, en tout cas aux yeux d'Erdoğan, qui l'affronte sans aucune crainte apparente.

Quant à la France, prisonnière de cet écheveau de contraintes, et tétanisée par l'importance de la communauté musulmane sur son sol, elle est devenue pour les loups une volaille que l'on pourchasse sans crainte. L'Union européenne n'a pas fait de l'Europe une puissance, elle a dépossédé ses nations de leur puissance passée. Et à ce jeu, la France est de loin la principale victime, quoique bien consentante dans le fond. Erdoğan peut dérouler tranquillement sa stratégie de coups de force : il ira jusqu'où notre faiblesse lui permettra d'aller. C'est-à-dire probablement très loin...

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28 octobre 2020 à 9:15

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