Livre : L’Empire du politiquement correct, de Mathieu Bock-Côté
Dans le sillage prestigieux d’Éric Zemmour, Élisabeth Lévy, Ingrid Riocreux, Roger Scruton, Jean-Yves Le Gallou et autres talentueux déconstructeurs du déconstructivisme, Mathieu Bock-Côté, sociologue québécois et francophile conséquent, s’attaque, dans un essai des plus inspirés, au politiquement correct, notion invasive et tentaculaire à rayonnement nocif, carcinome invalidant de la pensée, acmé d’autant plus caractéristique de notre époque postmoderne qu’il se niche au cœur de son programme libéral-libertaire, tel que décrit par Alain de Benoist dans son récent manifeste philosophique Contre le libéralisme.
Le politiquement correct est une excroissance pathogène de la « Weltanschauung » (représentation, vue ou vision du monde, en allemand). Si cette dernière ne demande, depuis Kant, à n’être jamais que le simple résultat de tout regard intuitif porté sur le monde – au deçà de toute construction intellectuelle –, le politiquement correct entend bien, quant à lui, se faire porteur d’un discours légitimant, d’une théorie justificatrice, bref, disons-le sans ambages, d’une grille de lecture préconçue à travers laquelle le monde ne se donnerait plus comme il est mais comme il a été préalablement décidé qu’il devait être. À rebours de Péguy, et par une singulière distorsion psychologique, si l’on peut voir ce qui est, c’est à l’impérative condition de ne pas accepter de voir ce que l’on voit !
Par voie de conséquence, le politiquement correct aboutit à surdéterminer – au sens d’Althusser – sa propre vision de la société – celle passée au crible de son idéologie – et à ringardiser corollairement, par relégation dans les poubelles de l’après-histoire – pour reprendre cette géniale et éloquente expression de Philippe Muray – toutes conceptions jugées archaïques et rétrogrades héritées de « l’ancien monde ». Il s’agit de faire litière de tout ce qui est commun et qui repose sur une sociabilité consensuelle dont le principal ressort serait la philía aristotélicienne, au profit d’un unanimisme à marche forcée fondé sur la défiance, a priori, à l’égard de tout attachement spontané à un ordre social décrété passéiste. Le politiquement correct apparaît alors comme le plus précieux auxiliaire du progressisme, son indispensable factotum sémantique et conceptuel sans lequel ce même progressisme serait voué à demeurer lettre morte.
Le politiquement correct se récrit, naturellement, de toute tentation totalitaire, lors même qu’on lui ferait grief d’imposer dans le débat public un « dress code » politique et médiatique qui encage l’expression publique – et privée – dans un sens scrupuleusement conforme à sa doxa hégémonique. Au besoin recourra-t-il à un arsenal législatif suffisamment dissuasif (le fait de légiférer sur les « fake news » est assez topique, de ce point de vue) pour contraindre tous les récalcitrants et autres déviants à une cure d’hygiénisme mental comme à un protocole drastique d’asepsie intellectuelle. Là où la démocratie, au sens classique, cherchera à convaincre, les imprécateurs du politiquement correct, adeptes mitrés de la victimolâtrie minoritariste, de la démonologie et de l’excommunication, prêcheront pour convertir les blancs hétérosexuels non inclusifs et - horresco referens ! - de droite.
En outre, le politiquement correct réduit la démocratie à une téléologie dont la finalité ultime serait l’avènement de la société multiverse ou « diversitaire », selon le mot de Bock-Côté. À cette aune, le politiquement correct revêt une dimension proprement rééducatrice en s’inscrivant dans un processus de destruction créatrice de tous les arrière-plans historiques, culturels, traditionnels et axiologiques qui sous-tendent l’appréhension du réel. Il en résulte un entier réagencement de l’espace public qui n’est pas sans effets anthropologiques notables, dès l’instant qu’il induit à terme, volens nolens, un « changement de civilisation », une transformation de fond en comble d’une société qui aurait substitué l’hétérogénéité pseudo-identitaire à l’homogénéité de la communauté nationale. C’est dire que le conservateur doit, plus que jamais, s’ériger en gardien des digues…
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