L’Été indien fête son demi-siècle : célébrons Joe Dassin !

Le tube de Joe Dassin est la musique de fond des adolescents d’alors.
Agenzia Pitre, published in Bolero Teletutto Magazine, Public domain, via Wikimedia Commons
Agenzia Pitre, published in Bolero Teletutto Magazine, Public domain, via Wikimedia Commons

Le 6 juin 1975, l’été allait être indien. C’était il y a un demi-siècle et le tube de Joe Dassin est la musique de fond des adolescents d’alors. Dans les boums, les boutons fleurissent sur les visages, certains (minoritaires) roulent des pelles tandis que d’autres (majoritaires) se contentent de ramasser des râteaux. Bref, c’est Jardiland™ avant l’heure. La même année, la carrière de Joe Dassin, l’homme à l’éternel smoking blanc, bat sévèrement de l’aile. L’alcool, la cocaïne, les problèmes conjugaux n’aident pas.

Pourtant, que de chemin parcouru depuis sa naissance, le 5 novembre 1938, à New York. Le jeune Joseph Dassin est né des tourments de ce XXe siècle. Samuel, son grand-père, est un immigré juif russe, coiffeur de profession. Arrivé aux USA, il ne parle pas un traître mot d’anglais, parvenant juste à bredouiller le nom de la ville natale : Odessa. Comme les services de l’immigration ne comprennent strictement rien à son sabir, « Odessa » devient donc « Dassin ». Jules Dassin, l’un des huit enfants de Samuel et père du petit Joe, est un cinéaste renommé auquel on doit des films tels que Les Forbans de la nuit (1950) ou Topkapi (1964). Un temps adhérent du Parti communiste américain, il déchire sa carte au moment du pacte germano-soviétique, ce qui ne l’empêchera pas de subir les foudres du maccarthysme, lointain ancêtre de l’actuel wokisme.

Entre Georges Brassens et Bob Dylan…

Jules Dassin finira le reste de sa carrière en Europe, principalement en France et en Grèce. Joe Dassin est le fruit de cette culture cosmopolite, au sens noble du terme. Étudiant brillant, il étudie à l’université du Michigan, a Karim Aga Khan, chef de file de l’islam ismaélien, pour condisciple et devient titulaire d’une licence en anthropologie. Mais la future vedette de la variété française est avant tout passionnée de musique. Georges Brassens, qu’il joue à la guitare, mais aussi Bob Dylan, qu’il fréquente assidûment. Ce mélange des genres est le secret de l’inimitable style qu’il s’apprête à développer : une musique américaine, country en l’occurrence, et des textes dont l’exigence littéraire participe de la tradition française. Après, il faut bien vivre, la preuve par Les Dalton, en 1967, son premier succès. Cette aimable pochade, composée par ses soins et joliment arrangée, entre twist et musique de western italien, lui sera ce que Zorro est arrivé est devenu à Henri Salvador : une sorte de sparadrap pour capitaine Haddock. Un immense succès, certes, mais qui manquera de peu d’occulter le reste de leurs carrières respectives. Car Henri Salvador, c’est aussi et avant tout le renversant Syracuse

Heureusement, il y a Marie-Jeanne, adaptation du sublime Ode to Billy Joe, de la non moins sublime Bobbie Gentry. À l’époque, ces adaptations d’anglais en français prêtent souvent à sourire ; pas là. Ce, d’autant plus que le texte énigmatique de Bobbie Gentry – la disparition mystérieuse d’une jeune fille qui se serait suicidée en se jetant du haut d’un pont – est magnifiquement réinterprété par ses deux auteurs fétiches d’alors : Jean-Michel Rivat et Frank Thomas.

Des chansons d’amour comme s’il en pleuvait, même en été…

Ensuite, il y a des classiques tels que Siffler sur la colline, coquinerie champêtre, et Les Champs-Élysées, que Joe Dassin exige de ses collaborateurs, déplorant que la plus belle avenue de la plus belle ville au monde n’ait jamais été célébrée en musique. On notera que l’utilisation de cet hymne parisien sera la seule note de bon goût, lors de la pathétique cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de l’année dernière.

D’autres succès suivent, tel Ça va pas changer le monde, chanson déchirante sur la séparation de deux amants. L’amour, toujours, avec La Demoiselle de déshonneur, où Joe Dassin narre la perte de sa virginité dans les bras d’une dame aux amours tarifées. La qualité de la musique et des paroles, surtout lorsque signées par l’irremplaçable Pierre Delanoë, est toujours au rendez-vous. Le public aussi, dans des tournées de plus en plus harassantes ; d’où les excès plus haut évoqués. Il lui faut donc rebondir au plus tôt, surtout à l’approche de l’été, saison où l’on attend souvent le tube du même nom.

Laissons plutôt la parole à Pierre Delanoë, le parolier plus haut cité, dans ses Mémoires, La Vie en chantant (Julliard) : « On nous a donné à "paroler" une chanson italienne intitulée Africa, de Toto Cutugno, et écrite en anglais. Nous croyons comprendre qu’il s’agit d’un Noir américain qui s’adresse à ses frères africains en leur annonçant son retour sur la terre de ses ancêtres. Le sujet est intéressant et correspond assez à mes convictions selon lesquelles certains Noirs qui sont nés dans la civilisation occidentale devraient aider les Africains dans leur expansion culturelle et économique. » Ces lignes datent de 1980 ; de la remigration avant l’heure, en quelque sorte.

Une chanson en forme de bulletin météo

Pour autant, il s’agit de trouver un thème un peu plus sexy pour faire danser dans les campings. Pierre Delanoë, toujours : « Il existe à Deauville un établissement de bains très moderne, excellent pour calmer les excités que nous sommes parfois, avec mon compère Claude Mesle. Et c’est dans un caisson de vapeur, le corps enfermé jusqu’au cou comme un supplicié chinois, qu’il nous est apparu que la chanson pourrait s’appeler L’Été indien. » Ou de l’art de transformer les affres de la création en bulletin météo. Les mauvais coucheurs objecteront que le duo ne s’est pas foulé quant au reste. « On ira,/où tu voudras quand tu voudras./Et on s’aimera encore/lorsque l’amour sera mort. » Fort bien. Mais aller où et avec qui ? Surtout lorsque la promise s’est déjà taillée. Ensuite, s’aimer encore lorsque « l’amour sera mort » ? Et ensuite dormir, même quand on n’a plus sommeil ou boire alors qu’on n’a plus soif ? Peu importe. Ces vers, pour abscons qu’ils soient, sont imparables, surtout ceux concernant « les aquarelles de Marie Laurencin », alors parfaite inconnue mais, de fait, promise à une célébrité impromptue. Le solo de trompette de l’immense Pierre Dutour fait le reste. Et Pierre Delanoë, toujours caustique, de conclure, à propos de son propre texte : « C’était parfaitement idiot, puisque l’été indien s’appelle, en France, l’été de la Saint-Martin, et que la Saint-Martin se situe au début de novembre. »

Peu importe, finalement. Le 45 tours se vend à 800.000 exemplaires en France et à presque deux millions dans le monde. Numéro un en France et en Belgique, il atteint même la onzième place en Turquie ; là où pourtant personne ne connaît ni l’été indien et encore moins les aquarelles de Marie Laurencin. Notons que Nancy Sinatra reprend la chanson à son compte, accompagnée de son traditionnel comparse, Lee Hazelwood, le génial producteur qu’on sait.

Pour la petite histoire, cette sublime chanson, fruit incongru d’un opportunisme des plus farceurs, finit par se conclure sur une autre aimable plaisanterie, celle de Destinée, tube à la va-vite composé en 1982 par Vladimir Cosma, génie qui pouvait aussi être filou à ses heures, pour cette pièce maîtresse méconnue du septième art que demeure Les Sous-doués en vacances, de Claude Zidi. Avec la complicité de Guy Marchand et pris par le temps, ils se contentent de reprendre la grille d’accords de L’Été indien pour, ensuite, la jouer à l’envers. Cette chanson passera à la postérité la même année, quand illustrant l’invraisemblable slow dansé par Thierry Lhermitte et Christian Clavier dans Le Père Noël est une ordure. Le tout se passe en hiver, loin de l’été, qu’il soit indien ou pas. Mais comme aurait pu dire Vivaldi, quatre saisons dans l’année, c’est déjà beaucoup.

Peu de temps avant sa mort, survenue en Polynésie française, le 2 août 1980, Joe Dassin publie l’album qui lui tenait si à cœur depuis longtemps, Blue Country, accompagné de Tony Joe White, le maître du blues nonchalant et mariné aux senteur du bayou, dans ce qui était autrefois une part de France en Amérique. Ce morceau, The Guitar Don't Lie, presque posthume, mérite d’être découvert ou redécouvert. Ce sera son ultime 45 tours. Et devinez qui officie à la trompette ? Pierre Dutour, pardi ! Le même que sur L’Été indien. Et ça, peut-être même que cette fieffée coquine de Marie Laurencin ne le savait pas.

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Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain

Vos commentaires

20 commentaires

  1. Je me souviens des moments de tendresse en 1975 avec celle qui est devenue plus tard mon épouse quand le tourne-disques passait en boucle « Ma Musique » adaptation par Joe Dassin de « Sailing » de Rod Stewart. Cinquante ans plus tard, je retrouve les mêmes émotions…

  2. je n’avais pas lu l’intégrité de votre article autour de « l’été indien  » c’est dingue ce que la chronique autour d ‘un tube peut révéler de détails sur sa création et sur les personnes qui en ont été mêlés ;
    Cela donne plus de valeur à ce que je trouvais anodin à l’époque , alors que la variétoche française ne m’intéressait pas plus que çà , juste le temps d’un slow avec ma dulcinée .
    C’est comme un objet dont on doit négocier la prix , plus son histoire est riche en détails et plus il prend de la valeur .
    J’ai relevé , quelques artistes que vous citez çà et là qui, pour être peu connues ont été emblématiques d’une musique populaire de qualité aux Etats Unis , tels Lee Hazelwood et Tony Joe White .
    Grâce à vous je revoie mon jugement ; elle était pas si mal cette variété française liée étroitement à cette époque pleine de promesse mais qui a vécue .

  3. Huh, la foto est pas génial de Joe, il louche. Vous auriez pu trouver mieux ça lui rend pas service!

  4. Chanson magnifique , de toute façon j’ai toujours aimé les chansons de J Dassin, beaucoup de talent et de belles chansons

  5. Toute une époque, mais en ce qui concerne Dassin, le grand jeu est de retrouver la chanson étrangère qu’il n’a pas repompé. C’était certes le plus facile. Les champs Elysées c’est Waterloo road du groupe Jason Crest, l’Amérique c’est Yellow River de Christie, les petits pains au chocolat, Lugio de l’italien Riccardo del Turco, etc…

    • et oui,c’etait le cas de quasiment tous les yéyés de l’époque.90% de reprises et adaptations.il suffit de fouiller un peu.meme les plus grands comme presley n’ont vécu que des créations des autres.

      • C’est souvent l’interprétation qui fait la différence et le succès d’un titre . Il ne faut pas faire le procès en paternité de tel ou tel morceau , c’est bon de savoir par curiosité qui a été derrière tel ou tel tube mais tous les artistes ont fait des reprises de ces compositions de façon plus ou moins heureuse . je ne parle même pas des chanteurs et musiciens de jazz qui se sont fait une spécialité de reprendre ce qui s’appelait par ailleurs des standards composés par tels ou tels compositeurs comme Cole porter , ou Gershwin .
        Les Rolling Stones en reprenant des standards de blues ont permis à ceux qui les avaient composés de sortir de la misère et l’anonymat dans lesquels certains s’étaient retrouvés, pour reprendre le chemin de la scène , cela fait partie du miracle , parce que rien n’était écrit à l’avance , dont le succès phénoménal des uns et la reconnaissance des autres . on ne peut faire des procès sur ce qui est imprévisible .

  6. il est mort a table dans un restaurant a papeete ou il fêtait l achat d une ile ;;;parmis les convives jhnonny Hallyday ; le restaurant a depuis change de nom

  7. Quel régal, quelle émotion.
    Je ne connaissais pas The Guitar Don’t Lie mais ce morceau est vraiment épatant.
    Merci Nicolas Gauthier.

  8. Juin 75 , m’en rappelle comme si c’était hier . Bidasse à Tarbes . La Radio c’était en boucle : « l’été indien »de J Dassin , » Le Sud « de N Ferrer , « Femme «  N Croisille , «  Vanina «  Dave …et au cinoch «  Emmanuelle «  j’avais 20 ans !

    • Quelle coïncidldence ,j’étais bidasse à Melun en 1975 mais figurez vous que l’on nous faisait crier « Bigorre!  » dont Tarbes est la capitale ,les autres dans l’infanterie de marine c’était « marsouin! » leur cri de ralliement . Cette époque ,c’était le bon temps du Rock n’ Roll mais surtout du slow et « l’été indien  » c’était le slow obligé avec aussi celui deTen CC et son tube « I’m not in love « .

  9. ah Joe, que des chansons qui restent en tête: du texte, de la mélodie, tout ce qui manque à beaucoup d’éructations actuelles… merci M. Gauthier pour ce bain de jouvence dans notre jeunesse des seventies!

  10. Très belle chanson, j’adore je l’ai sur une clef usb dans la voiture avec plein d’autre chansons des années 60. Nostalgie quand tu nous tiens.

  11. Merci pour cet article et merci à cet artiste qui me ramène à ma jeunesse..j’ai appris sa disparition par  » radio France international » a Delphe( Grèce)….difficile de le croire quand on est heureux et au soleil..j’espère que lui a trouvé une lumière encore plus belle que celle qu’il a su nous donner…

    • Á chacun sa vie et ses souvenirs.
      J’aime et Joe Dassin et Vivaldi. Les deux me comblent, selon l’humeur du moment.

    • Mais ce qui est bien c’ est qu’ on peut avoir les deux ! Pas la peine de faire un échange la question ne se pose pas… vous voulez juste jouer les troubles fêtes… perso je l’ écoute encore avec nostalgie et plaisir… et travail pour mon chœur les vêpres de Monteverdi.C’ est comme si vous refusiez de manger des lentilles parce que vous préférez le caviar… je suis sûre que vous pouvez être autre chose qu’ un ronchon.

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