Le poliziottesco, ou les « années de plomb » au cinéma

Flingues et bombes s’invitent à la fête.
UN FLIC VOIT ROUGE

La réédition du diptyque Un flic voit rouge et Marc la gâchette, de Stelvio Massi, par l’incontournable éditeur Artus Films, est l’occasion de découvrir, ou de redécouvrir, un genre cinématographique méconnu, le poliziottesco - soit le polar italien. Si le cinéma populaire transalpin a longtemps été suspecté – parfois non sans raison – de plagier son homologue américain, le poliziottesco est, au contraire, un genre bien de chez eux, ayant vu le jour presque en même temps que les tristement fameuses « années de plomb ».

L’Italie de l’après-guerre est alors aux confluences de nombre d’influences. Les droites et les gauches radicales s’affrontent dans la rue. D’abord à coups de manche de pioche ; mais rapidement, flingues et bombes s’invitent à la fête. Notons que ces frères ennemis sont largement manipulés par la CIA, tel qu’en témoigne le brillant Vengeance romaine, de Gérard de Villiers, là où SAS enquête sur l’enlèvement et le meurtre du démocrate-chrétien Aldo Moro, président du Conseil d’alors, par les Brigades rouges. Lesquelles se révèlent être les marionnettes de services secrets américains qui, ne mettant pas tous leurs œufs dans le même panier, téléguident aussi le réseau Gladio, leur pendant fascisant. Pour tout arranger, il y a les scandales en devenir, tel celui de la loge P2, où se retrouvent mêlés mafia, Vatican et autres pontes de la Démocratie chrétienne.

Pour tout arranger, l’insécurité bat des records, les enlèvements sont légion, tandis que les grèves deviennent un véritable sport national.

Passé fasciste, carrière communiste…

Le cinéma ne pouvait donc que s’emparer d’une telle situation. C’est chose faite dès 1968, avec Bandits à Milan, de Carlo Lizzani, dans lequel l’acteur cubain Tomás Milián incarne un commissaire teigneux et pas tout à fait humaniste. La personnalité de Carlo Lizzani mérite qu’on s’y arrête. Au même titre que la majeure partie de ses confrères de l’époque, il a appris le métier au Centro sperimentale di cinematografia, l’école de cinéma fondée par Benito Mussolini. D’où un précoce passé fasciste pas tout à fait bien digéré et un ralliement tardif au Parti communiste italien. Finalement, le paradoxe n’est qu’apparent : de la chemise noire au drapeau rouge, Carlo Lizzani demeure un homme d’ordre et l’extrême gauche bourgeoise lui a toujours fait horreur. D’où la difficulté qu’il y a à politiquement classer le poliziottesco.

Un cinéma qui se revendique comme « populaire »…

Dans les bonus du DVD Rue de la Violence (1973), de Sergio Martino (naguère disponible chez le défunt éditeur Neo Publishing), l’acteur français Luc Merenda rappelle que « ces séries B, même scénarisées par des gauchistes et tenues pour droitières par la critique d’alors, n’étaient finalement que de simples films populaires ». De son côté, le cinéaste Enzo G. Castellari, interrogé par le site Nanarland, est autrement plus direct : « Il était normal que mes films, faits pour le public, n’aient rien pour intéresser la critique. Et puis, le milieu du cinéma et de la critique était dominé par les homosexuels et les communistes : n’étant ni l’un ni l’autre, j’étais sûr de ne pas avoir la cote ! »

Il est vrai, ses films ne faisaient pas toujours dans la dentelle. Mais en étaient-ils de droite pour autant ? Rien n’est moins sûr. Que ce soit dans Un citoyen se rebelle (1974) ou Big Racket (1976), ses deux pièces maîtresses, il est question de gens du peuple, simple civil dans le premier et policier dans le second, aux méthodes singulièrement expéditives. Et le laxisme qu’ils combattent est bel et bien celui d’une justice de gauche singulièrement permissive et rendue possible par la mollesse de la droite. En ce sens, il s’agit plus d’un cinéma authentiquement populiste que de simples films de droite ou de gauche, et le plus souvent empreint de cette « décence commune » si chère à George Orwell.

C’est le petit flic intègre de Mort suspecte d’une mineure (1975), de Sergio Martino, qui part en guerre contre les réseaux de prostitution ; mais aussi le simple père de famille qui venge sa fille, violée et massacrée par des voyous dans le poignant La mort remonte à hier soir (1970), de Duccio Tessari. Certes, ces films étaient violents ; mais l’époque l’était tout autant et ces artisans du cinéma populaire nous en disaient finalement plus à son propos que les sociologues d’alors.

Le genre perdurera jusqu’au milieu des années 80, avec pas moins de quelques centaines de films au total. Pas que des réussites, on s’en doute, tels Un flic voit rouge et Marc la gâchette, malgré le bon moment qu’ils nous font passer. Mais dans le lot, d’incontestables chefs-d’œuvre qui, aujourd’hui encore, n’ont rien perdu de leur cruelle actualité.

 

Une sélection de dix incontournables :

Nous sommes tous en liberté provisoire (1970), de Damiano Damiani

Passeport pour deux tueurs (1972), de Fernando Di Leo

Société anonyme anti-crime (1972), de Steno

Rue de la violence (1973), de Sergio Martino

Les Chiens enragés (1974), de Mario Bava

Un citoyen se rebelle (1974), d’Enzo G. Castellari

Milan calibre 9 (1974), de Fernando Di Leo

La Rançon de la peur (1974), d’Umberto Lenzi

Mort suspecte d’une mineure (1975), de Sergio Martino

Big Racket (1976), d’Enzo G. Castellari

 

Ces films ne sont pas toujours aisés à dénicher, mais trois éditeurs indépendants y consacrent une grande partie de leur catalogue, Artus films, Le Chat qui fume et Éléphant films.

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Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain

Vos commentaires

4 commentaires

  1. Merci pour cet article passionnant qui nous fait découvrir un pan de cinéma peu ou mal connu. Il est intéressant de noter l’influence de l’extrême-gauche sur le cinéma policier comme d’ailleurs sur le roman policier noir je pense à manchette. Encore merci cher Nicolas.

  2. Merci pour cette liste et cet article synoptique . Tout ceci étant à comparer avec la mainmise de la gauche sirupeuse sur le polar français qui finit par le tuer aussi bien au cinéma que dans son art majeur de référence : notre malheureuse littérature populaire . Heureusement qu’il y avait SAS et San Antonio …

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