Mgr Dominique Rey, évêque de Fréjus et Toulon dans le Var, a invité ses curés à faire sonner les cloches si la France emportait la Coupe du monde de football. Dans les Yvelines, l'abbé Amar, curé de dix-huit clochers, cherchait vendredi des volontaires pour la même raison. Nous sommes si habitués à entendre des concerts de cornes de brume, de klaxons, de youyous dans nos rues, les soirs de match, que ce genre de demande peut paraître incongru, voire déplacé. Il se trouvera bien, d'ailleurs, quelques intégristes de la laïcité pour hurler au viol de la loi de 1905.

Bon, relativisons les choses : sans bouder le plaisir de voir la France emporter la Coupe du monde de football pour la deuxième fois de son histoire, cette victoire, ce n’est tout de même pas Arcole ou Austerlitz, encore moins la fin de la Grande Guerre. Du reste, ces jours-ci, nous commémorons dans le plus grand silence le centenaire de la seconde bataille de la Marne, qui coûta tout de même deux cent mille soldats à la France : une bataille qui fut décisive pour l’issue du conflit. Aussi, nous devons garder un minimum de décence lorsque nous empruntons au registre guerrier des mots qui ont perdu un peu de leur sens : attaque, défense, défaite, victoire… Alors, c’est vrai, de ce point de vue, on pourrait trouver un peu déplacé de faire sonner les cloches de France lorsque l’on gagne un match de football. Ces cloches qui sonnèrent le tocsin quand la France entra en guerre, le glas pour accompagner son long cortège de morts, à la volée pour l’armistice de 1918, la victoire de 1945. Mais s’il est vrai qu’il faut beaucoup d’humiliations – et la France a eu son lot en sport : souvenons-nous de la Coupe du monde de 2010 - pour faire un peu d’humilité, alors, peut-être faut-il aussi beaucoup de gloriole pour faire un peu de gloire. Beaucoup de petites occasions de fierté pour retrouver la grande fierté du peuple français.

Les cloches n’ont pas la même sonorité que l’on soit en France, en Croatie ou ailleurs. C’est normal car les cloches des églises de nos villes, de nos villages, dans notre Europe aux racines chrétiennes, expriment l’âme du pays. Et chaque âme est unique. Alors, faire sonner les cloches de nos églises, c’est peut-être rappeler, d’une certaine façon, que ce peuple français a encore une âme et que cette âme a une voix. Il faut avoir vécu dans des régions étrangères où les cloches ont été remplacées par l’appel du muezzin, comme au Kosovo, pour comprendre, sentir cela. En 1996, j’étais à Zagreb, en Croatie. Et les cloches de ce pays catholique sonnaient à la volée tous les dimanches. J’avais fait part de ce ravissement à mon chef, un vieux laïcard qui m’avait répondu, un peu ironique, quelque chose comme ceci : « Vous avez donc besoin des cloches, comme les vaches ? » Eh bien, oui, j’ai besoin des cloches. Et j’ai la faiblesse de penser que je ne suis pas le seul en France.

Il est 18 h 55. La France est championne du monde. Je tends l’oreille. L'église de mon village est à trois cents mètres à vol de cloches de la maison. Elles sonnent. L'angélus comme tous les soirs ou la victoire ? Peu importe !

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 22/07/2018 à 9:29.

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15 juillet 2018 à 19:02

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