Est-ce la fin de la politique ?
La sortie du dernier livre du géographe Christophe Guilluy, intitulé No Society (en référence à la formule lancée, en son temps, par Margaret Thatcher), a un mérite manifeste : celui de poser le problème de la fin de la politique pour les démocraties occidentales. Un consensus voit le jour depuis peu selon lequel la disparition des classes moyennes entraînerait logiquement celle de tout intérêt pour la vie en Cité.
En géographie sociale comme en sociologie, le creusement des inégalités ne peut, en effet, être un fantasme dans des contrées libérales-libertaires où le plus de gentrification possible doit aller de pair avec le plus de paupérisation possible : le libre-échange des richesses nourrit socialement le libre-échange des pauvres. En outre, on est toujours le pauvre d’un autre comme le riche d’un autre : l’immigration massive à venir – pour des raisons tant climatiques qu’économiques – bouleverse nécessairement, dans ce domaine, la donne. Les enfants de Mitterrand se rendent ainsi compte, bien trop tard, que le pouvoir n’est plus politique mais bel et bien économique, si ce c’est totalement financier.
Depuis le Léviathan, de Thomas Hobbes (1588-1679), il était acquis que l’État démocratique et libéral avait, a minima, le levier de la sécurité, et ce, à défaut d’avoir celui de l’économie. De manière générale, la société libérale, voire libertaire, est née pour être éminemment sécuritaire ; le meilleur exemple, dans ce domaine, étant la culture politique nord-américaine. Toujours est-il que le credo libéral-libertaire est simple à entendre : « L’État ne peut pas tout faire. » Le faire, précisément, devait être la seule charge de l’individu. Dès lors, irrémédiablement, on ne peut exister sans être libre, et on ne peut être libre sans avoir des ressources financières. L’économicisme a une logique implacable : pas d’être sans avoir. Le politique d’aujourd’hui, étant débordée par les lobbies et les droits individuels, ne peut que se sentir inutile. La crise de la représentation saute aux yeux pour celui qui apprend que beaucoup des députés La République en marche n’avaient jamais fait de politique auparavant. La politique n’est plus une vocation mais une activité salariale comme une autre. Les énarques virevoltent volontiers entre les hautes sphères du secteur public et celles du secteur privé.
Cependant, il serait absurde de confondre la fin de la politique avec celle du tout-politique. En réalité, le tout-économique a eu la peau du tout-politique après l’expansion sans borne du capitalisme financier. Le développement par les États, que ceux-ci soient démocratiques ou pas, du soft power manifeste une autre manière de manipuler les masses : entertainment, sport et merchandising sont les trois piliers du projet de remplissage culturel répondant à un vide identitaire. Ainsi, la nouvelle offre ne peut être que numérique afin de satisfaire des demandes schizophréniques. La fin du tout-politique ouvre nécessairement le champ à l’ère de la singularité [cf. The Singularity Is Near, de Ray Kurzweil, publié en 2005]. Si gouvernement mondial il doit y avoir, celui-ci ne verra le jour sans les data de la Silicon Valley. De façon exponentielle, le maître des data est appelé à être le maître du monde.
En somme, la culture de la surveillance et la culture du divertissement n’entrent plus en concurrence l’une vis-à-vis de l’autre, et ce, contrairement à ce qu’objectait Michel Foucault contre Guy Debord en disant : "Notre société n’est pas celle du spectacle, mais de la surveillance" (in Surveiller et punir). Il est évident que, pour le Google Apple Facebook Amazon Microsoft, les ressources inépuisables ne sont pas naturelles ou financières, mais intégralement humaines, trop humaines. "État", "nation", "patrie" et "famille" sont les gros mots d’un novlangue numérique qui entend effacer toute rhétorique. Seulement le tout-politique peut toujours disparaître, le pouvoir restera inéluctablement totalitaire.
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