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Il suffit de quelques plans pour reconnaître un film de Cheyenne-Marie Carron. L’épure le dispute à la pudeur et à la grâce, avec quelque chose de très archaïque dans son approche, comme une église romane. Avec La Morsure des dieux, récemment sorti en DVD, la cinéaste, qu’on ne présente plus, poursuit la même voie, débute son film par un instant réflexif, avant de croquer deux heures durant un monde paysan qui, disons-le, a toujours été le parent pauvre du cinéma, y compris dans sa période classique. Celui-ci fit, en effet, la part belle à l’ouvriérisme, à la classe moyenne et à la bourgeoisie, mais force est de constater que, mis à part Pagnol et, bien plus tard, Raymond Depardon et François Dupeyron, rares sont les réalisateurs à s’être intéressés à cette frange de la population. Une carence d’autant plus grave qu’il y a un siècle encore, plus d’un Français sur trois travaillait aux champs…

Le film suit le parcours de Sébastien, petit agriculteur du Pays basque peinant à joindre les deux bouts face à la concurrence de la grande distribution, aux normes imposées par l’Union européenne et aux banques auxquelles il ne parvient plus à rembourser ses emprunts. Cela, sans compter le manque de soutien des paysans locaux et leur désorganisation dans la lutte contre l’ennemi commun, propres à ce qu’Édouard Berth désignait en son temps comme "l’anarchisme individualiste traditionnel" de la paysannerie, à savoir l’extrême isolement du petit propriétaire agricole, volontiers réfractaire au monde social extérieur, à l’État et à l’Église.

À cette dernière – à laquelle il pourrait effectivement se raccrocher –, Sébastien préfère la "science" telle qu’on l’entendait autrefois : les savoirs ancestraux qui se transmettent et puisent jusque dans une forme de paganisme panthéiste.

Un dialogue conflictuel, mais nécessaire, s’instaure alors entre la foi païenne de Sébastien et la foi chrétienne – ici incarnée par son nouvel amour, Juliette –, comme pour mieux répondre aux défis de l’avenir : la mondialisation des échanges et ses conséquences inévitables sur l’écologie, sur notre rapport à la terre, et plus particulièrement sur la disparition de notre paysannerie française que traduit à l’écran, à mi-récit, le suicide d’un éleveur.

Sébastien comprend ce qui se joue là, mais avant que ses réflexions personnelles, qui s’expriment notamment par une voix off discrète – mais sans doute trop justificative –, n’aient pu déboucher sur des solutions concrètes et efficaces, le système aura finalement raison de lui.

Cheyenne Carron, plus alarmiste sur ce sujet-là que sur ceux abordés dans ses longs-métrages précédents, livre avec La Morsure des dieux un film poignant, visuellement très beau, le plus abouti certainement avec L’Apôtre et Patries et, à en croire la résolution finale du récit, n’exclut pas totalement l’espoir – ce serait, dans l’esprit de la cinéaste, une facilité, une complaisance même, à laquelle elle se refuse par principe, étant par nature optimiste.

Un film à voir, à faire connaître et qui, à l’image de son auteur, rend un peu de dignité au cinéma français.

5 étoiles sur 5

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23 avril 2017 à 0:07

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