[STRICTEMENT PERSONNEL] La chute de la maison Assad

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« Charge, emplois, honneurs, tout en un instant s’écroule/Au milieu des éclats de rire de la foule »… Ainsi Victor Hugo, beaucoup poète, et donc un peu prophète, résumait-il en deux vers fulgurants, dans Ruy Blas, le drame qui est depuis toujours, au long des siècles et à travers le monde, celui des hommes forts, des rois, des dictateurs, voire des présidents, quand leurs trônes sont renversés, leurs fauteuils jetés par la fenêtre et leurs régimes mis à bas. Ce drame, la Syrie le vit depuis le début de ce mois, dans le bruit et la fureur, à un détail près, qui diffère du tableau évoqué plus haut. Si l’on entend bien, venu de Damas, d’Alep, de Homs ou de Lattaquié, le bruit des éclats, ce ne sont pas des éclats de rire mais des éclats de voix ou des éclats d’obus. On entend le fracas des bombes, on voit l’éclair des fusillades, on voit et on entend les foules rassemblées qui demandent que justice soit faite, autrement dit vengeance tirée de ceux qui, il y a quinze jours encore, faisaient trembler leurs peuples et qui ne sont plus, aujourd’hui, que des fantoches balayés par le grand vent de l’Histoire.

Le fils qui voulait aussi être lion

Hafez el-Assad – « le lion » - puis Bachar, son fils cadet, leur famille, leur tribu, leur clan, les minorités sur lesquelles ils s’appuyaient, alaouites, chrétiens, druzes, bourgeoisie occidentalisée et déconnectée de ses racines, auront donc tenu d’une poigne de fer pendant plus d’un demi-siècle, et maintenu vaille que vaille et « quoi qu’il en coûte » (il en a coûté beaucoup) par la crainte et la force, l’unité et l’existence même d’un pays, création de docteurs Frankenstein de la géopolitique, qui n’est qu’une mosaïque hétérogène et hétéroclite de groupes humains largement allergiques les uns aux autres comme au « vivre ensemble », réunis par les circonstances, divisés par la religion, la langue, les aspirations. C’est d’abord en exaltant un patriotisme et même un nationalisme largement artificiels, puis en prétendant cimenter à force de répression, d’incarcérations, de tortures, d’exécutions et même de bombardements (classiques ou chimiques) de leurs propres, on n’ose dire concitoyens, disons plutôt sujets, que le père, impitoyable et rusé, puis le fils, qui n’était ni destiné ni prédestiné à lui succéder, ont exercé le pouvoir - le rejeton tentant de chausser les bottes de son géniteur, un peu grandes pour lui ; puis, croyant l’imiter, sans état d’âme, en ne retenant de l’exemple paternel que la cruauté, l’insensibilité, le cynisme, sans en avoir l’habileté, la souplesse, le savoir-faire et sans être capable d’éviter à son pays les ravages de la guerre étrangère, de la guerre civile et de juguler une corruption devenue insupportable lorsqu’elle a coexisté avec la paupérisation de la grande majorité des Syriens et que les conséquences cumulées des ravages de la guerre et du durcissement de la terreur ont conduit un tiers de la population à fuir la terre natale pour tenter de vivre et, s’il se pouvait, de trouver la paix sous d’autres cieux.

Tels quels, Bachar et sa clique n’ont pas vu venir ou n’ont pas su parer l’orage qui grossissait sur leurs têtes. Les appuis sur lesquels ils croyaient pouvoir s’appuyer leur ont fait défaut en même temps que leurs adversaires ont mis à profit la configuration nouvelle du Moyen-Orient et le contexte international pour passer à l’action. Désorganisé et décimé par Israël, le Hezbollah était hors d’état de mobiliser ses milices pour sauver Bachar, au moment où l’Iran ne parvenait pas à masquer, par une rhétorique boursouflée, son affaiblissement et sa crainte de provoquer l’État hébreu et d’affronter les États-Unis, tandis que, pour sa part, la Russie, en difficulté sur le front ukrainien, choisissait d’abandonner son protégé à son sort en échange du maintien de ses bases syriennes sur le littoral méditerranéen. Dès lors, la Turquie, les « forces démocratiques » kurdes et les diverses factions qui, dans l’est de la Syrie ou dans l’enclave d’Idlib, entretenaient à feu doux la flamme de l’islamisme, ont saisi l’occasion, rêvée, d’attaquer le fils du « lion », isolé, vieillissant et blessé.

De maître à fugitif

La suite était écrite d’avance. Lâché par ses alliés, exécré par la grande majorité des Syriens, attaqué simultanément sur tous les fronts, abandonné par sa propre armée dont il n’avait pas su maintenir la puissance, la cohésion et la fidélité, Bachar a pris la fuite en même temps que s’effondraient simultanément, dans une course de vitesse à qui se mettrait le plus vite à l’abri, armée, police, services de l’État et minorité alaouite passée, en quelques jours, du statut de faction dominante à celui de minorité en péril. Ceux qui s’étaient compromis avec le régime ou craignaient, quoi qu’il en fût, les représailles des nouveaux maîtres du pays optaient pour le repli sur la côte, en pays alaouite et sous la protection des bases russes maintenues ou se préparaient à l’exil au moment où nombre de réfugiés, indésirables en Europe ou en Turquie, envisageaient leur retour.

Renversement total. En quelques jours, Bachar el-Assad et les siens sont passés du luxe, du confort et de la sécurité que leur garantissaient leurs palais, leurs rapines, leur police, leurs geôliers et leurs gardes au statut, à leur tour, de réfugiés, voire de proscrits, dont la liberté et la vie ne dépendent plus que de leurs protecteurs. Du jour au lendemain, les foules qui les conspuent et les vouent à la mort sont passées de la servitude et de la peur à la possibilité, dont elles usent, de crier leur haine, de poursuivre les partisans ou les serviteurs du tyran déchu et d’exiger leur châtiment. Dans la compétition effrénée qui s’est aussitôt ouverte pour la Palme d’or, ou au moins le Grand Prix, du reniement, de la trahison, dans le Festival de la Girouette, on fera une place à part à l’ambassadeur de Damas à Moscou. Nommé, il y a deux ans, à ce poste prestigieux, ce fin diplomate a fait arborer, devant sa résidence, le drapeau de la rébellion victorieuse. Puis il a dénoncé sans honte et sans peur la « mafia corrompue » qui l’avait nommé.

Ne nous y trompons pas. Ce n’est pas pour ses fautes, ses erreurs et ses crimes que Bachar el-Assad est mis, depuis une semaine, au ban du monde « civilisé ». C’est parce qu’il a perdu la partie. Aujourd’hui comme hier et comme demain, à Moscou comme à Damas, à Washington comme à Paris ou à Rome, « malheur aux vaincus » !

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Dominique Jamet
Journaliste et écrivain Président de l'UNC (Union nationale Citoyenne)

Vos commentaires

47 commentaires

  1. L’occident a bénéficié du nationalisme arabe pendant des décennies… Il n’est plus. Les régimes passent et les palais demeurent… Ils ne resteront pas vides longtemps. Dominique Jamet pourra republier cet article, sans modifier une virgule, en remplaçant simplement le nom d’Assad, dans une décennie ou deux.

  2. Excellente analyse, ce qui n’est pas étonnant de la part de Monsieur Jamet.
    Avec un petit bémol : pourquoi le mot démocratique est entre guillemets concernant les kurdes et surtout voir l’accusation d’entretenir la flamme de l’islamisme? D’après mes humbles connaissances, les kurdes se sont battus courageusement contre les djihadistes, et ce sont les seuls musulmans de cet « Orient compliqué » qui adoptent un certaine émancipation des femmes. Voir des femmes soldats et même dirigeants militaires.

  3. La fuite chez les russes ne sauvera pas cette famille, une fois leur argent dépensé, les russes s’en débarrasseront et c’est très bien.

  4. Et la peste va remplacer le choléra , comme on l’a déjà vu dans cet Orient compliqué , des tyrans laïcs mis en place ou soutenus par l’occident sont remplacés par des tyrans islamistes.
    L’islam prend possession de tout le Moyen Orient , chasse et soumet les juifs et les chrétiens , et il en va de même chez nous , petits territoires par petits territoires , avec l’immigration et leur natalité ils nous submergent , les réfugiés arrivent chez nous accompagnés de leurs bourreaux .
    Le parti totalitaire de la famille Assad (Baas) ne tuait pas chez nous , par contre les islamistes tuent chez nous , des centaines de morts et de blessés ces dernières années.
    Hier dans une ville moyenne , une femme intégralement voilée déambule , sous la surveillance de “gardes du corps” menaçants , et la population autochtone feint de ne rien voir , détourne le regard , baisse la tête , soumission .

  5. Bachar a perdu la partie…c’est très bien écrit et décrit. Il n’empêche, il a beaucoup de sang sur les mains. Il n’est qu’un méprisable tyran à tout jamais en fuite, au sort très peu enviable.

  6. Une tyrannie malfaisante pourrait en remplacer une autre. C’est malheureusement le scénario qui risque fort de se passer pour ce pauvre pays.

  7. Si les syriens le déteste c’est surtout une question religieuse. Comme il est rappelé dans l’article, il appartient aux alaouites largement minoritaires, ce qui l’a emporté sur tout le reste.
    Alors réjouissons nous, en bon occidental, à la chute d’un tyran pratiquant un islam relativement tolérant qui va être remplacé par une autre dictature … moins tolérante avec les autres religions et, « accessoirement », les femmes.
    Il n’y a que les américains et Macron pour croire que le futur régime sera meilleur.
    Au fait, citez moi un seul pays musulman d’Afrique ou d’extrême-orient qui ne soit pas une dictature ?

    • Très bien vu . J’admire le ton péremptoire de M.Jammet : Peut-on lui rappeler que le sort de Bachar el Assad était déjà jugé « réglé »du temps de Hollande, président ? Et qu’à la surprise générale, les Sukov 24 russes ne faisant pas « que de la figuration » comme on le disait dédaigneusement à l’époque, au profit de Bachar el Assad, celui-ci se maintint en place ? C’est plutôt du côté de Trump – Poutine qu’il faut chercher une explication .

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