Dominique Marcilhacy : « L’Union syndicale des magistrats appelle, pour la première fois de son histoire, à une grève d’une journée ! »

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Journée de mobilisation pour les magistrats, les avocats et les greffiers, ce 15 décembre. Ils dénoncent leurs conditions déplorables de travail et le manque de moyens. Pour la première fois, un syndicat de magistrats, l'USM, appelle à la grève. Une colère qui gronde depuis longtemps et qui a poussé, après le suicide de l'une des leurs, plus de la moitié des magistrats à signer « La tribune des 3 000 » publiée dans Le Monde : « Nous ne voulons plus d’une justice qui n’écoute pas, qui raisonne uniquement en chiffres, qui chronomètre tout. »

Dominique Marcilhacy est magistrate et déléguée de l’USM au tribunal de Nanterre. C'est ce syndicat, majoritaire dans la profession, qui a publié un sondage et alerté sur le phénomène des audiences nocturnes dans les tribunaux : en France, plus du tiers d'entre elles se poursuivent après 21 heures.

 

Des audiences nocturnes : est-ce l’unique problème de la Justice française ?

Les audiences nocturnes ne sont qu’un symptôme du manque de moyens dont souffre la Justice française. Elles s’observent essentiellement dans les affaires pénales. Aux audiences de comparution immédiate que je préside, par exemple, il est rare que nous sortions avant 22 h 30. À ces audiences, nous prononçons souvent des mandats de dépôt. Est-ce décent d’incarcérer des gens qu’on a eu à peine le temps d’entendre, tant on est pressé de juger les autres ? Pourquoi ces audiences nocturnes ? Parce qu’on n’a pas assez de juges, de greffiers et de salles pour créer davantage d’audiences.

Pour les affaires civiles (affaires familiales, prud’hommes, litiges divers), le symptôme du dysfonctionnement de la Justice, c’est sa lenteur et les délais subis par les justiciables avant de voir leur affaire passer. Est-ce normal d’attendre trois ans avant d’avoir une date d’audience aux prud’hommes ? Plus d’un an avant qu’un juge aux affaires familiales traite votre problème ? Un juge qui n’a pas plus de 15 minutes à vous consacrer et ne peut pas prendre le temps de vous laisser parler. Là encore, on n’a pas assez de juges et de greffiers et de salles pour créer plus d’audiences.

L’engorgement des tribunaux, la lenteur de la machine judiciaire, est-ce le symptôme de l'ensauvagement d'une société débordée par ses délinquants ?

C’est surtout le signe du mépris que les pouvoirs publics manifestent tant à l’égard des juges que des justiciables : nous comptons à peu près autant de juges qu’au moment de la Révolution française. Dans le même temps, la population a été multipliée par deux et demi. Un autre chiffre qui dit tout : la France consacre 70 euros par habitant et par an à la Justice, quand l’Allemagne dépense 131 euros.

La progression de la délinquance, qui est sensible, n’explique pas tout, loin de là. Depuis la Révolution, la vie s’est complexifiée et les Français font de plus en plus appel à un juge : avec, par exemple, un couple qui divorce sur deux, comment faire autrement ?

Quels remèdes pour soigner notre Justice ?

Ce n’est pas compliqué : il faut, en premier lieu, augmenter de 30 % au moins le nombre de juges et de greffiers. Et cela, très vite, d’ici la fin du prochain quinquennat.

Et puis mettre un minimum de moyens matériels pour qu’au tribunal de Bobigny, il ne pleuve plus dans les salles d’audience, qu’à Nanterre, on répare les micros cassés depuis deux ans, qu’on ait des logiciels modernes au lieu des machines à gaz actuelles, qu’on puisse payer les experts, qu’on ait assez de places de prison au lieu d’occuper des juges à détricoter les peines fermes prononcées par leurs collègues, etc.

Et il faut, en second lieu, cesser la réformite aiguë que connaît notre Justice depuis quelques années : les tribunaux ne peuvent pas s’adapter à des changements incessants et toujours plus complexes. Commençons par digérer la réforme des peines (2020), celle de la justice des mineurs (2021), celle du divorce (2020), celle des tribunaux sociaux (2019), celle des tribunaux de proximité (2019), et j’en oublie.

Pour le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, qui, au passage, s’est dit « extraordinairement surpris » en recevant les magistrats, c’est « un problème de management » puisque la Justice a obtenu une augmentation budgétaire (+8 % pour 2021 et 2022). Partagez-vous ce constat ?

Les magistrats sont des gens polis et extraordinairement consciencieux. La plupart de mes collègues travaillent une partie de leurs week-ends et de leurs vacances. Mais ils n’en peuvent plus. Ils sont incapables d’absorber plus de travail et même de faire correctement ce qu’on leur demande. J’ajoute qu’ils ont honte de bâcler leur office, comme on le leur impose.

Voilà une bonne quinzaine d’années que le diagnostic du manque de moyens de la Justice est établi.

Alors, le discours du garde des Sceaux a fait déborder le vase : il a lancé des « états généraux de la Justice » où la question des moyens n’est pas abordée (!), il s’est vanté d’une augmentation de 8 % du budget (simple rattrapage d’un gel antérieur) et il a déclaré benoîtement que, maintenant, la Justice était « réparée ».

Les magistrats n’ont pas le droit de grève (ils l’auraient, on n’en serait probablement pas là). Leur colère est telle que, pourtant, ce mercredi 15 décembre, en sus d’une manifestation de rue, l’Union syndicale des magistrats, syndicat « corpo » au bon sens du terme, appelle, pour la première fois de son histoire, à une grève d’une journée.

Autre nouveauté : puisque, s’ils veulent consacrer aux justiciables le temps qui leur est dû, magistrats et greffiers sont dans l’impossibilité de faire tout ce qu’on exige d’eux, ces professionnels sont en train de lister les tâches qu’ils vont choisir d’abandonner, faute de moyens.

 

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Sabine de Villeroché
Journaliste à BV, ancienne avocate au barreau de Paris

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