Coutumier des récits à caractère historique, tels qu’avec Empire du soleil, La Liste de Schindler, Amistad, Il faut sauver le soldat Ryan</em>, Munich, Lincoln et tant d’autres, Steven Spielberg sort en ce moment en salles Pentagon Papers, son film sur l’affaire éponyme qui éclaboussa, en 1971, les gouvernements américains successifs des vingt années précédentes, de Truman à Nixon, en passant par Eisenhower, Kennedy et Johnson.

À l’époque, Daniel Ellsberg, consultant militaire rattaché au ministère de la Défense, confia au New York Times puis au Washington Post l’intégralité d’un document de sept mille pages classé secret défense, United States – Vietnam relations, 1945-1967, révélant sous la plume de trente-six experts l’enlisement de la guerre au Vietnam, les mauvais choix stratégiques de l’état-major américain, les bombardements secrets sur le Laos, des offensives illégales au regard du droit international, l’échec assuré de l’entreprise à plus ou moins long terme et, par conséquent, le sacrifice inutile de dizaines de milliers de soldats nationaux. Une série d’articles incendiaires fut alors publiée dans la presse américaine et provoqua la colère du président Nixon, qui obtint la comparution en justice du Times et du Washington Post. Le 26 juin 1971, cependant, la Cour suprême des États-Unis déclara qu’aucune restriction préalable à la publication de tels articles n’était requise dès lors que ceux-ci ne faisaient peser aucun danger sur la sécurité nationale. Une défaite lourde pour le gouvernement, réaffirmant les principes du premier amendement de la Constitution sur la liberté de la presse.

Si les intentions premières de Spielberg peuvent agacer, tant nous semble transparente sa volonté d’attaquer indirectement Donald Trump et ses "fake news", son film a au moins le mérite de contextualiser au maximum l’affaire des Pentagon Papers et de décrire, en particulier, la situation financière délicate du Washington Post, contraint à l’époque d’entrer en Bourse pour survivre et de composer avec des investisseurs peu enthousiastes à l’idée de s’en prendre au gouvernement. Malgré ses difficultés, le journal maintint la publication des articles grâce à la détermination de Kay Graham, patronne du Post incarnée ici par la très juste Meryl Streep, et de Benjamin Bradlee, le rédacteur en chef campé par Tom Hanks.

En dépit d’une intéressante reconstitution historique, le film, hélas, n’est pas d’une grande subtilité. Ni sur le plan de la mise en scène, d’une mollesse et d’un manque de créativité patents, ni sur le plan philosophique. Quid, en effet, du cheminement intellectuel pouvant conduire les politiques au sacrifice de vies humaines dans l’unique but de préserver l’apparence d'un État fort auprès de l’opinion publique ? Quid de l’importance des apparences ? Le seul début de réflexion (minime) s’esquisse vers la fin du film lorsque Daniel Ellsberg, pour se défendre, clame à la télévision que discréditer un gouvernement en particulier ne revient pas pour autant à trahir son pays. Une thèse tout à fait légitime, que nous partageons également, mais qui n'engage pourtant que ce seul personnage. Nous eussions apprécié que les journalistes du Washington Post dépeints dans le film fussent traversés par ce questionnement, et ne se contentassent d’incarner les hérauts manichéens de la liberté d'expression, soutenus en grande pompe par une musique de justice des plus pompeuses signée John Williams.

Beaucoup de spectateurs français, par ailleurs souvent issus d’une certaine droite viriliste, seront sans doute tentés, à la vision du film, de crier à la trahison d'État, mais ce sera vite oublier que la distinction toute maurrassienne entre le pays légal et le pays réel accrédite de facto la thèse de Daniel Ellsberg. Un pays donné ne saurait se confondre avec son administration, ou bien faudra-t-il conclure avec nos élites médiatiques de gauche et avec nos universitaires que la France et Vichy ne furent qu'un. Tout un champ de réflexions philosophiques que Spielberg n'a qu’à peine effleurées…

2,5 étoiles sur 5

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02 février 2018 à 11:42

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