[Cinéma] She Said : une bonne synthèse de l’affaire Weinstein, juste un peu trop convenue

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En octobre 2017, le New York Times publiait une vaste enquête sur les agissements du producteur Harvey Weinstein accusé d’agressions sexuelles et de viols par une dizaine de comédiennes et collaboratrices. La publication de ces articles, signés des journalistes Jodi Kantor et Megan Twohey, libéra la parole à Hollywood. Très vite, de nouvelles plaintes furent enregistrées, portant à 93 le nombre de victimes potentielles d’Harvey Weinstein. L’ancien patron de la société de production Miramax, très en vogue dans les années 90 jusqu'à début 2000, fit alors l’objet d’une enquête judiciaire au terme de laquelle il fut condamné à 23 ans de réclusion, en 2020.

Cette affaire Weinstein, qui entraîna à sa suite le mouvement #MeToo, avec toutes les dérives que l’on sait, avait déjà fait l’objet d’un documentaire, indigent et pour le moins discutable, L’Intouchable, sorti en salles quelques mois seulement avant le début du premier procès, comme pour mieux influencer la décision de justice…

Le film de Maria Schrader, She Said, bien qu’il sorte concomitamment avec l’ouverture, à Los Angeles, d’un second procès d’Harvey Weinstein – mis à nouveau en cause par cinq femmes –, jouit assurément d’une plus grande légitimité dans la mesure où la première condamnation ayant été prononcée, l’opinion publique a davantage de recul sur cette affaire. Son intérêt est d’autant plus fort que le récit se veut l’adaptation du livre-enquête homonyme de Jodi Kantor et Megan Twohey, récompensé en 2018 par le prix Pulitzer. Les deux rédactrices sont alors érigées en personnages principaux d’un scénario qui se donne pour (vaste) ambition de retracer les différentes étapes-clés de l’enquête journalistique.

Le tout aboutit à un film-dossier – dans la veine de Pentagon Papers, JFK, Snowden ou Spotlight – qui ne parvient pas, hélas, à égaler ses modèles. Pour cause, le travail, certes colossal, de Kantor et Twohey ne repose pas tant sur des éléments matériels que sur des témoignages, des confidences de victimes et d’anciens collaborateurs de Weinstein. C’est là la limite de l’objet cinématographique. She Said ne peut véritablement prétendre au thriller, contrairement à ses modèles.

Le film pèche également par la faible caractérisation de ses deux héroïnes. Laquelle se résume, pour Twohey, à une vague dépression post-partum et à une séquence un peu convenue durant laquelle le personnage rembarre violemment un type lourdingue dans un bar. Kantor, elle, pleurniche, beaucoup, souvent même davantage que les victimes qu’elle interroge, suscitant un certain malaise chez le spectateur.

Le film n’en demeure pas moins une synthèse appréciable sur l’affaire Weinstein, revenant de long en large sur le système mis en place par le producteur pour attirer ses proies à l’hôtel, abuser d’elles et acheter leur silence via sa société de production. Les victimes qui signaient un accord financier, si elles décidaient d’ébruiter leur agression, notamment dans la presse, risquaient purement et simplement des poursuites judiciaires. Plus largement, celles qui se plaignaient de quelque façon que ce soit pouvaient faire une croix définitive sur leur carrière, Harvey Weinstein veillant à leur fermer toutes les portes de l’industrie cinématographique.

Véritable menace qui plane tout au long du récit mais que l’on ne voit jamais, le producteur prédateur parle malgré tout à travers des enregistrements sonores et des appels téléphoniques à glacer le sang. Sa réputation n’étant plus à faire depuis le jugement de 2020, ce film n’aura sans doute aucune incidence réelle sur le bon déroulement de son second procès.

3 étoiles sur 5

Pierre Marcellesi
Pierre Marcellesi
Chroniqueur cinéma à BV, diplômé de l'Ecole supérieure de réalisation audiovisuelle (ESRA) et maîtrise de cinéma à l'Université de Paris Nanterre

Vos commentaires

6 commentaires

  1. Se compromettre pour de l’argent et la notoriété me choque. Si seulement une de ces femmes avait eu le courage de dénoncer weinstein

  2. Comment peut on accepter de l’argent en échange de son silence face à ces agressions .Une carrière vaut elle vraiment ces humiliations .En dénonçant ces faits tout de suite elles auraient mis fin à la carrière de ce pervers et protégé d’autres femmes .Mais elles ont choisi la carrière et le fric , perdu leur honneur et toute crédibilité à nos yeux .

  3. Un film documentaire pour achever d’effacer les mémoires. Le souvenir de ces actrices prêtes à tout pour bosser chez Miramax dans les années 90 doit disparaitre.

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