Après quarante ans d’absence, Felice Lasco retourne à Naples, dans le quartier de la Sanità, pour rendre visite à sa mère vieillissante. Cet homme qui a refait sa vie au Caire, en a pris l’accent arabe et a perdu de son vocabulaire italien, s’aperçoit que si les rues de son enfance n’ont pas changé, la criminalité locale, endémique, a tout rongé. La faute, en partie, à son meilleur ami de jadis, Oreste, qui, après une adolescence ponctuée d’actes de délinquance, est devenu en quarante ans une figure majeure de la Camorra et fait désormais régner la terreur dans le quartier.

Se liant peu à peu au père Luigi Rega, un prêtre à l’ancienne, viril et retors (inspiré du père Antonio Loffredo), pour qui la guerre contre la mafia est une affaire quotidienne, Felice entend non seulement retrouver son ami d’enfance, avec lequel il partage un lourd secret, mais également faire valoir son droit à revenir vivre définitivement à Naples. Une décision qui risque bien de gêner Oreste, cet homme sans foi ni loi pour qui toute évocation d’une jeunesse innocente et d’une amitié fusionnelle (idéalisée ?) ne fait que mettre en lumière le fourvoiement d’une vie entière consacrée au crime.

Avec Nostalgia, son dernier film en date, le réalisateur Mario Martone choisit de porter à l’écran le roman homonyme d’Ermanno Rea. Un écrit de longue date sur lequel l’auteur revenait régulièrement pour sans cesse le retravailler tandis qu’il continuait, entre-temps, de publier d’autres livres. Décédé en 2016, quelques mois après la parution en librairie de Nostalgia, Ermanno Rea, hélas, n’aura pas eu le temps de voir le film qu’en a tiré Mario Martone. Lequel brasse avec subtilité et pudeur nombre de sujets fondamentaux : la violence du déracinement, le retour aux sources et ses difficultés, le devoir d’assistance aux personnes âgées – et à nos géniteurs en particulier –, le sentiment d’appartenance à un territoire et à une culture donnés, le temps qui passe et ne parvient pas tout à fait à résoudre les problèmes du passé, l’érosion des liens d’amitié les plus solides et les divergences de parcours qui en sont la cause…

Plutôt mineur dans la filmographie de Pierfrancesco Favino, qui avait donné toute la mesure de son talent dans Le Traître de Marco Bellocchio, Nostalgia pose néanmoins au comédien de 53 ans un défi intéressant et malin à la fois : celui d’utiliser sa romanité (réelle) pour mieux jouer le Napolitain devenu étranger dans sa ville de naissance. De son côté, Francesco Di Leva, acteur local, campe un père Luigi haut en couleur qui met les mains dans le cambouis, se bat pour les jeunes de la Sanità, n’hésite pas quand il le faut à taper du poing sur la table et nous change, par conséquent, des représentations habituelles du prêtre atone et émasculé tel que Vatican II a pu en produire… Composé pour l’essentiel de figurants locaux, le reste du casting confère à l’ensemble du film une authenticité appréciable.

Riche de symboles (la séquence des catacombes de Naples dans lesquelles s’enfonce Felice), cette tragédie grecque au face-à-face final tout en tension divisera sans doute les spectateurs quant à son issue. Pour notre part, il apparaît évident qu’Ermanno Rea et Mario Martone ont fait le choix de la lucidité.

4 étoiles sur 5

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20 janvier 2023 à 12:10

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4 commentaires

  1. Magnifique film .
    Une réflexion sur le temps qui passe et les erreurs de jeunesse qui ne s’effacent pas.
    Un curé de choc, comme ceux qu’on a connus dans notre jeunesse et qui, n’en déplaise aux bobos anticléricaux, ne donne pas dans le bon sentiment mielleux

  2. C’est bien dans l’esprit des napolitains de refuser le retour des leurs quand ils adoptent l’étranger. Surtout quand ils ont perdu l’accent du pays. La réintégration est difficile et celui qui retourne à Naples est toujours considéré comme celui qui porte en lui quelqu’un d’autre qu’un napolitain. C’est en quelque sorte presqu’une mise au ban de Naples.

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