[Cinéma] Napoléon, de Ridley Scott, un regard typiquement anglais

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Contrairement aux idées reçues, Napoléon a très peu été traité au cinéma, si l’on tient compte du nombre d’ouvrages sur le sujet qui sortent chaque année en librairie. La fresque d’Abel Gance, qui pour l’époque (1927-1935) suscita des moyens colossaux, est évidemment présente dans tous les esprits. Fièrement populiste, cette œuvre célébrait avec emphase la France révolutionnaire, l’avènement de l’homme providentiel et la naissance de l’Empire – le critique communiste Léon Moussinac ne manqua d’ailleurs pas, à sa sortie, de crier au nationalisme et au fascisme…

Moins ambitieux mais plus rigoureux dans leur traitement historique, Austerlitz et le téléfilm Napoléon avec Christian Clavier demeurent, à ce jour, les meilleurs approches filmiques de l’épopée napoléonienne pour qui voudrait se faire un avis sur le personnage.

Il faudra désormais composer avec la vision de Ridley Scott. Le cinéaste anglais n’a pas réalisé que des chefs-d’œuvre, loin de là, son précédent film (Le Dernier Duel) était même très discutable idéologiquement parlant ; néanmoins, son pedigree est tel qu’il était permis d’espérer un grand spectacle – on lui doit tout de même 1492, Gladiator et Kingdom of Heaven.

Un film trop ambitieux

Aucune illusion à avoir, cependant, sur l’image que le cinéaste se fait de Napoléon : « un sacré enfoiré », résumait-il récemment aux journalistes du Times… Par ailleurs, ceux qui connaissent un peu la carrière de Ridley Scott se souviennent que la critique du bonapartisme était déjà sous-jacente dans son tout premier film, Les Duellistes, à travers le personnage bouillonnant et fanatique de Féraud, qu’incarnait merveilleusement Harvey Keitel.

Avec son Napoléon, Ridley Scott fait d’emblée le choix périlleux de courir plusieurs lièvres à la fois et se plante, in fine, sur tous les tableaux. Centré sur la relation sentimentale du général avec Joséphine de Beauharnais, le scénario ne cesse d’élargir son champ d’étude pour montrer également le Napoléon conquérant, politique et administrateur. Un projet bien trop vaste et ambitieux pour tenir sur une durée de 2 h 38 – on sait, à ce propos, qu’une version « director’s cut » de plus de 4 heures devrait sortir en DVD et Blu-ray ; gageons que celle-ci parviendra à corriger bien des défauts.

Car en l’état actuel, le cinéaste livre un récit à trous, bourré d’ellipses et de simplifications toutes plus embarrassantes les unes que les autres (l’arrestation de Robespierre !). Les explications géopolitiques sont survolées, si bien que le tout laisse penser que Napoléon guerroie par pur plaisir, par hybris ou par folie. C’est oublier bien vite que l’Europe entière a déclaré la guerre à la France et que Bonaparte a pour mission tacite de conserver les conquêtes de la Révolution. Dès lors, le plan final, qui recense les grandes batailles de Napoléon et le nombre de leurs victimes, accréditant par là l’idée qu’il était un épouvantable boucher, paraît complètement hors de propos.

Un Napoléon sans charisme

Il y a bien des choses à critiquer sur l’homme : son orgueil, sa prétention, son arrivisme, son illégitimité, son mauvais goût ; mais les griefs d’un Georges Cadoudal ou d’un Jacques Bainville seront toujours plus pertinents que les caricatures qu’en faisait la presse anglaise de l’époque. Jouet pathétique des femmes, souvent tourné en ridicule, lorsqu’on le voit besogner Joséphine (à trois reprises !) ou se mesurer à quelque momie égyptienne, Napoléon ne trouve aucune grâce aux yeux du cinéaste.

Campé par un Joaquin Phoenix qui accuse son âge (c’était déjà le cas dans Marie-Madeleine, où il interprétait Jésus), l’Empereur paraît éteint, amorphe, incapable du moindre trait d’esprit. On ne voit pas bien quel charisme solaire et rassembleur éblouit tant ses troupes et soutiens. Bon comédien dans l’absolu, Phoenix est une erreur de casting manifeste.

Restent des batailles spectaculaires, servies par de puissantes polyphonies corses, et l’occasion d’intéresser les plus jeunes à l’Histoire de leur pays.

2 étoiles sur 5

Pierre Marcellesi
Pierre Marcellesi
Chroniqueur cinéma à BV, diplômé de l'Ecole supérieure de réalisation audiovisuelle (ESRA) et maîtrise de cinéma à l'Université de Paris Nanterre

Vos commentaires

24 commentaires

  1. Mr Ridley Scott a réalisé un film où il a tout raté : ni historique, ni approchant avec la moindre véracité la jolie relation – même si tumultueuse – Napoléon & Joséphine, qui est parmi les plus belles histoires d’amour de notre Histoire. Il a alors fustigé les Français qui « ne s’aiment pas », manifestement irrité par nos critiques. C’est qu’il n’a décidément rien compris, ni au Français, ni à Napoléon, ni à son film même, qui montre en effet combien l’emprise des clichés de deux cents ans de littérature anglo-saxonne inculte sur le personnage continue de l’embrumer. Gageons que le film est fait pour son monde. Très loin des fantasmes américains de levrette qu’on nous a appliqués, Joséphine fut aimée et respectée de tous, étrangers et Français, y compris des royalistes qu’elle aida avec l’accord tacite de son mari. Et la finesse, et le génie de son mari son étudiés par les Américains éduqués jusqu’à West Point (tactique d’Austerlitz, grotesque dans le film). Cette grandeur française portée à deux, Mr Scott n’en a rien compris, il n’a pas été capable de la tirer au jour, ce qui aurait racheté son film. Il est venu chercher notre approbation pour asseoir son succès aux USA et c’est bien loupé. Mais j’aime les deux acteurs, qui sont pour moi un bon choix.

    • C’est vous qui ne comprenez pas, ou ne voulez pas comprendre : ce n’est pas un documentaire. Idem pour Prometheus, où Ridley Scott donne sa version de la création de la Terre et de l’humanité, approche qui a fâché le Vatican. Je réitère ce que BV a cru devoir effacer : faites un film et ensuite venez critiquer ceux des autres. Valable pour l’auteur de l’article teleramesque ci-dessus.

  2. Je lis de nombreuses critiques sur ce film… La conclusion de l’article est étonnante et inquiétante : un film truffé d’erreurs serait tout de même une bonne chose pour intéresser les jeunes à l’histoire. Ca se discute… Pour mémoire, ce sont les révolutionnaires qui, en 1992, ont commencé à engager une guerre qui s’étendra à l’Europe entière. Peut-être que les monarchies européennes l’auraient enclenchée un jour mais la réalité est celle-là. Napoléon a repris le flambeau… pour le meilleur et pour le pire, mais la France lui doit sa dernière épopée !

  3. Les plus grands collectionneurs de memorabilia sur Napoléon sont britanniques.
    Napoléon est très respecté en Grande-Bretagne.
    Je suis allé faire un tour sur les critiques de ce film, je n’en ai pas trouvé une qui soit particulièrement positive.

    • J’ai vu le film hier. Ecrire sur ces 2h38 d’agitation brouillonne et de roman à l’eau de rose une critique positive est mission impossible. Le Napoléon de Ridley Scott est une suite de séquences-clichés illustrant des moments de la vie de l’empereur, sans la moindre préoccupation historique et avec la présence constante d’usages américains sans rapport avec le sujet, français par excellence, des drapeaux partout par exemple, ou les scènes de rapports sexuels en levrette (trois dans le film!). L’arrestation de Robespierre, l’empereur chargeant sabre au clair à la Moscova, Lucien menaçant son frère de son sabre devant le Conseil des Cinq-Cents, et tant d’autres scènes farfelues, font sursauter le spectateur dans son fauteuil!

  4. Nos amis anglais ne se sont pas encore remis de la trouille qu’ils eurent durant 30 et quelques années . Sans avoir de l’Empereur une vénération inamovible, on ne peut laisser ainsi traiter l’Histoire de l’Europe comme une comédie sexuelle ou une tragédie démentielle . Le personnage est immense, simplement .

  5. Grossier personnage, falsificateur patent de l’Histoire de Napoléon, Ridley Scott est la caricature de l’anglais ne pouvant admettre que le plus grand personnage de l’Histoire ne soit pas britannique.

  6. Petit signe indirect, s’il en était besoin, que c’est malheureusement une « daube »: c’est un « film France-Inter »! Avec publicité persistante sur leur radio. Ils ne peuvent pas résister à ramasser la moindre miette de « féminisme », même fort mal placé.

  7. Ce film n’a rien d’historique. c’est une fiction à prendre telle qu’elle, mais franchement, où a-t-on vu Napoléon (pas Bonaparte et encore) faire le coup de feu comme un grenadier ou charger comme un hussard ? C’est quand même fort de café, non ?

  8. Fan de Napoléon je n’irai donc pas voir ce film qui ne reflète aucunement la valeur de cet homme dont la France peut s’enorgueillir tant il a oeuvré pour elle.

  9. Je n’irai pas voir ce film ..trop de publicité ce qui n’est jamais bon signe et le principal : j’aime trop Napoleon notre grand empereur pour aller voir ce film Anglo-américain …en plus l’acteur ne me plait pas du tout …bref a oublier .

  10. Un film ne peut résumer la vie et l’oeuvre de Napoléon. Il est tout de même surprenant que ce soit les Anglo-saxons qui s’intéressent à ce grand personnage quand en France notre classe politique préfère fêter Waterloo ou la bataille de Trafalgar.

  11. Ca y est, je l’ai vu. C’est mauvais. Factuellement, sur l’Histoire, c’est de la bouillie pour les chats, parfois à la limite du grotesque. Admettons, nous étions prévenus : Mr Ridley Scott l’avait dit : « je ne prétends pas faire un film historique ». Mais alors c’était censé « être vu par le prisme de sa relation avec Joséphine ». Et là c’est hélas encore plus raté. Deux épisodes quasi animaux en levrette plus un autre sous la table ; on s’en serait passé. Mais Napoléon, qui semble tout le film avoir son chapeau aussi vissé sur sa tête qu’une casquette de base-ball de nos jours, n’est présenté que comme un méchant butor, un goujat fini, une brutale horreur au-delà du méchant macho, c’est indescriptible, que pas une femme sensée n’accepterait pour mari, même pas dix minutes. C’est oublier complètement que Napoléon et Joséphine sont, en dépit du divorce, l’histoire d’amour quasiment la plus réussie de l’Histoire de France, et que ça ne se serait jamais fait selon les critères de Mr Ridley Scott. Alors peut-être que le succès financier sera américain, surtout par le côté féministe, le « Voyez comme les femmes sont des victimes, nous avons bien raison, tralala tralala ». Enfin, la victime aurait bien résisté, puisque le film fait mourir Joséphine en 1815, au début des Cent-Jours. En final, Mr Scott tente un pacifisme cheap en nous balançant le compte des morts de l’Empire. Conclusion : un film tout raté, et c’est d’autant plus enrageant qu’il aurait pu être bien, avec deux excellents acteurs. Cette fantaisie Napo-Jo est à Napoléon et Joséphine ce qu’Amadeus fut à Mozart. Au suivant.

  12. @Patrick Sinclair : par pitié ne mêlez pas votre voix à celles des frustrés, incapables de faire un film, comme l’auteur de l’article ci-dessus. Ce n’est pas un documentaire, c’est une vision d’un cinéaste, qui a fait largement ses preuves en terme de succès et de créativité, sans doute le meilleur avec James Cameron : voyez le succès des entrées.

  13. « d’intéresser les plus jeunes à l’Histoire de leur pays. » il faudra pour cela supprimer les scènes torrides avec Joséphine , on se demande ce qu’elle font là , résumer l’épopée napoléonienne en 2 h 30 est impossible voire caricatural . Et faire jouer le rôle du jeune Napoléon par un acteur de plus de 40 ans est absurde .

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