Alors que les sénateurs ont entériné le déblocage de 20 millions d’euros pour lancer le chantier des cartes Vitale biométriques, le magistrat et lanceur d’alerte sur la fraude sociale Charles Prats s'exprime à notre micro.

Marc Eynaud. Le Sénat a entériné 20 millions d’euros de budget pour la mise en place de la carte Vitale biométrique. Est-ce une bonne mesure ?

Charles Prats. Cette proposition ne vient pas du gouvernement mais de l’opposition de droite qui a fait voter cette enveloppe budgétaire, et le gouvernement s’est senti obligé d’accepter pour pouvoir obtenir des votes de l’Assemblée nationale et du Sénat sur un certain nombre de textes. Il y a encore quelques semaines, le gouvernement était éventuellement d’accord pour une mission d’information et la majorité En marche, lors de la dernière législature, avait voté contre les mesures biométriques pour lutter contre la fraude sociale. Depuis les dernières élections, les choses sont en train d’évoluer car Emmanuel Macron est bien obligé d’accepter un certain nombre de choses s’il veut réussir à faire passer les textes.

M. E. Quel est le fond de cette mesure ?

C. P. Sur le fond, ce qui est voté, c’est de l’argent, mais la mesure qu’il faut mettre en œuvre, ce n’est pas la carte Vitale biométrique. Je vais vous donner des explications un peu techniques. Ce n’est pas tellement la carte Vitale qu’il faut bio-maîtriser, c’est le NIR, le numéro de l’identification répertoire : le numéro de Sécurité sociale qui est l’identité sociale. Je pourrais aller jusqu’à l’extrême limite en disant qu’il n’est pas nécessaire de changer la carte Vitale pour une carte Vitale biométrique. Ce qu’il faut faire, c’est sécuriser chaque identité avec la biométrie. En clair, on vous demande de réenregistrer vos empreintes digitales et votre numéro de Sécurité sociale en les associant. Cela donnera un numéro de Sécurité sociale personnel et empêchera de profiter du système pour créer plusieurs identités.

M. E. L’adhésion du corps médical est-elle nécessaire ?

C. P. Ce n’est pas nécessaire. C’est une question de gestion de fichiers. Aujourd’hui, nous avons 67 millions d’habitants et on a 75,3 millions d’assurés sociaux. On a donc plus de 8 millions de personnes prises en charge en plus du nombre de personnes vivant sur le territoire français. Le problème est là et pas ailleurs. En réalité, il faut remettre à plat la base, le fichier des assurés sociaux et être sûr que 67 millions et non 75 millions soient pris en charge. C’est donc une question de sécurisation du fichier. Associer chaque numéro de Sécurité sociale à une empreinte digitale permettra d’être sûr qu’à un numéro correspond une personne et qu’à une personne ne correspond qu’un seul numéro et non pas des identités multiples.
Lorsqu’on fait ce travail de réenrôlement de la population, on vérifie que la personne a bien le droit à l’assurance maladie, qu’elle existe bien et qu’elle n’est pas à l’autre bout du monde. Cela permet de remettre à plat le fichier. Il faut donc faire ce travail avec la biométrie. Les politiques utilisent le terme de carte Vitale biométrique car c’est ce que le grand public comprend. Il y a plusieurs années, il y avait 7 millions de cartes Vitale en trop. Lors de la dernière enquête en 2020, il reste 2 millions de cartes Vitale en surnuméraire. Ce qui compte, ce sont les ouvertures de droits. Hélas, nous en sommes à plus de 75 millions. C’est là-dessus qu’il faut travailler et il ne faut pas oublier qu’on n’a pas besoin d’une carte Vitale pour être remboursé par l’assurance maladie.

M. E. Comment procéder ?

C. P. Réenrôler les gens pour enregistrer leurs empreintes digitales coûtera du temps et de l’argent. Il faut donc libérer des lignes budgétaires pour le faire.
On peut rendre la carte Vitale biométrique sans la changer en rajoutant des autocollants édités par personne, c’est faisable techniquement.
C’est donc le numéro de Sécurité sociale qu’il faut rendre biométrique, et l’associer à une identité certaine car à ce moment-là, on remettra à plat la base et on nettoiera le fichier. Cela permettra également de travailler sur les retraites, les allocations familiales, le RSA, le chômage et, donc, sur l’ensemble des prestations sociales. L’assurance maladie représente un peu plus de deux cents milliards de dépenses par an, les prestations sociales dépassent les huit cents milliards d’euros par an, frais de gestion inclus.
Ce système ne concerne pas que l’assurance maladie, mais la biométrie concerne le NIR afin de sécuriser les données en amont de la carte Vitale.

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05 août 2022 à 18:50

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