Brian Wilson n’est plus : vive les Beach Boys !

Brian Wilson, l’imam caché des Beach Boys, vient de rendre l’âme, à 82 ans.
Capture d'écran Live in Berlin 2005
Capture d'écran Live in Berlin 2005

Brian Wilson, l’imam caché des Beach Boys, vient de rendre l’âme, à 82 ans. Parti rejoindre ses pairs, Jean-Sébastien Bach et Burt Bacharach, dans le grand orchestre céleste ? God Only Knows, pour reprendre le titre d’une de ses plus magistrales compositions.

Il va sans dire que ce groupe de prétendus surfeurs ne pouvait voir le jour ailleurs qu’aux USA, là où il est fortement conseillé d’imprimer la légende et d’au passage oublier la réalité. John Wayne, le grand acteur patriote ? L’un des rares à ne s’être pas engagés durant la Seconde Guerre mondiale, à rebours de la majeure partie de ses confrères hollywoodiens - républicains et démocrates confondus. John Fitzgerald Kennedy, le président honnête, époux modèle à la bonne santé légendaire ? Le rejeton d’une famille de mafieux, collectionnant les maîtresses comme d’autres les timbres et, en permanence, shooté aux médicaments, ces drogues permettant de se droguer sans avouer qu’on se drogue. Bref, le rêve américain dans toute sa splendeur. Les Beach Boys, c’est un peu pareil.

Famille, je vous hais…

Et la famille Wilson, modèle et vendue comme telle par leur maison de disques ? La famille Addams, plutôt. Il y a déjà les trois frères : Brian, Carl et Dennis. Puis le cousin, Mike Love ; sans oublier l’ami de Brian Wilson, Al Jardine, qui n’en finiront plus de se disputer l’héritage commun. Mais il y surtout le père, Murry Wilson, musicien raté et imprésario improvisé, qui décide tôt de mener ses trois fils à la baguette ; quand ce n’est pas à coups de ceinturon, à la première fausse note venue. Une sorte de patriarcat blanc avant l’heure, dirait Sandrine Rousseau. Mais qui n’est pas sans évoquer son homologue noir, pas toujours blanc-bleu : Joseph Jackson, autre musicien frustré, père d’une autre fratrie, les Jackson Five, dont le petit dernier, l’infortuné Michael Jackson, et qui a pareillement martyrisé ses propres enfants pour enfin atteindre gloire et fortune.

Les Beach Boys sont donc, à leur corps défendant, une création médiatique, ces garçons plagistes n’ayant foulé le sable que de loin et ne s’étant jamais risqués à la dangereuse pratique du surf, à l’exception de Denis Wilson, le batteur du groupe et le seul à arborer une carrure à la hauteur des canons californiens de l’époque. Pas de chance, il mourra en mer, bourré au-delà de l’inimaginable, après avoir imprudemment plongé de son yacht, un triste 28 décembre 1983. Dommage, il venait de sortir un album sublime, Pacific Ocean Blue, et venait tout juste de se remettre de ses fréquentations toxiques - le tueur Charles Manson, en l’occurrence. Mais cela est une autre histoire et revenons-en à la nôtre qui, sans forcément résoudre l’éternelle querelle opposant « l’inné » et « l’acquis », nous apprend qu’il n’existe pas de handicaps d’enfance qu’on ne puisse un jour surmonter.

Entre addictions et chefs-d’œuvre…

Ainsi, malgré son physique bedonnant, son total manque de charisme et sa timidité maladive, Brian Wilson ne fait alors qu’enchaîner les chefs-d’œuvre. On évoque alors des « symphonies de poche adressées à Dieu »… Apocryphe ou non, cette citation parle d’or. Et de l’or, il y en a dans ses compositions. Des plus badines, hymnes au surf, Surfin' U.S.A. et Surfer Girl, sport qu’il ne pratique évidemment pas. Puis odes à la voiture, Little Duce Coupe, alors qu’il n’a sûrement pas le permis de conduire ; ce qui vaut mieux quant à la mortalité routière du Golden State.

Ensuite, l’acmé de sa carrière, avec l’album Pet Sounds, qui traumatisera durablement ses rivaux anglais, Paul McCartney au premier chef. Là, que des pièces maîtresses. Wouldn’t It Be Nice, Caroline No ou Don’t Talk (Put Your Head on My Shoulder), des cris d’amour déchirants. Enfermé dans son studio, Brian Wilson, en artiste fou, fait refaire prise sur prise, jusqu’à épuiser son groupe et même les musiciens additionnels venus lui prêter main-forte. Pour tout arranger, il délaisse le cannabis pour les acides. Ces substances lui dévastent le cerveau. Il n’est plus que l’ombre du peu qu’il était avant. Peu importe, il s’entête. Là, on pense à Bernard Palissy qui, au XVIe siècle, désireux de percer les mystères de la porcelaine chinoise, en serait venu à sacrifier son propre mobilier afin d’alimenter son four et de toucher du doigt la magie pékinoise. Il ne s’en remettra pas, et Brian Wilson non plus. Les autres Beach Boys se passent de lui durant les tournées, le condamnant à composer dans une prison de plus en plus dorée mais, surtout, de plus en plus lysergique. Pour tout arranger, les gourous en développement personnel se mêlent de la partie, achevant de carboniser ce qu'il lui reste de cerveau disponible.

S’incliner devant Paul McCartney…

Certes, en 1966, Pet Sounds fait son effet, puisque tenu pour l’un des meilleurs albums de tous les temps. Mais, un an plus tard, survient Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band, des Beatles, qui, à son tour, révolutionne ce rock, né adolescent, mais désormais devenu adulte. Là, il y a She’s Leaving Home, peut-être ce que Paul McCartney a composé de meilleur dans sa carrière. Brian Wilson ne peut que s’incliner. Certes, il lui reste encore son « grand » projet, Smile, album initié la même année, avant d’être abandonné et de revoir le jour en 2011. Entre-temps, au moins une pépite aurait été extraite avant la sortie officielle de cette œuvre inaboutie : Good Vibrations, l’ultime chant du cygne de Brian Wilson. Soit une chanson aux mélodies complexes et enchevêtrées, dont la durée est un défi lancé aux DJ d’alors.

Et la suite ? Brian Wilson entre dans une interminable hibernation, n’apparaissant que de temps à autre, lâchant une composition, soigneusement usinée, mais ne parvenant pas à renouer avec la magie d’antan. Puis, enfin débarrassé de ses démons, drogues et gourous, il consent à revisiter son passé, rejouant sur scène, et note par note, ses tubes d’autrefois, accompagné par les Wondermints, formation de fanatiques transis d’admiration.

En 2002, Eric Clapton lui offre sa dernière prestation historique, lors du jubilé de la reine d’Angleterre - cinquante années passées sur le trône, ce n’est pas rien -, avec un poignant Warmth of the Sun.

Deux ans plus tard sort un nouvel album, qui aurait pu être celui du renouveau, Gettin' In over My Head, à l’occasion duquel des pointures telles qu’Elton John, Paul McCartney et Eric Clapton (toujours lui) viennent lui prêter main-forte. Mais le compte n’y est pas, n’y est plus.

Alors, bien sûr, il sera toujours licite de railler la personnalité fantasque du défunt, ses frasques, ses absences, sa folie intérieure. Il n’empêche que Brian Wilson demeure, et demeurera longtemps encore, l’un des musiciens les plus brillants du siècle dernier. On espère qu’il est heureux, là où il est. Mais, après tout, tel qu’il le chantait, God Only Knows

PS : la pyramide des âges étant ce qu’elle est, une autre figure foutraque vient de nous quitter, Sly Stone, autre drogué d’anthologie mais qui, lui au moins, ne s'en cachait pas. Pour mémoire, quoi de mieux que sa fantastique prestation à Woodstock, en 1969, devant des centaines de milliers de hippies manifestement diminués. Mais qui fait tout de même du bien par là où ça passe !

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Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain

Vos commentaires

14 commentaires

  1. Toute une belle époque et des tubes pour toujours, j’étais enfant mais j’adorais leurs chansons

  2. Curieux, cette propention à glorifier des musiciens minables et sans talent après leur mort (régulièrement par overdose). Brassens l’a parfaitement décrit. Mais de là à affirmer  » Parti rejoindre ses pairs, Jean-Sébastien Bach », j’hallucine. Premières atteintes d’une sénilité cachée?

  3. c’est quand même mieux qu’Indochine, aucune comparaison. Quelle époque bénie pour la musique, aujourd’hui on n’a plus rien.

  4. USA, USA, si on veut. C’est plutôt de la Californie du Sud, i.e. au sud de LA, plutôt San Diego. En souvenir du bumper sticker qui dit qu’il n’y a pas de vie à l’Est de la I5 (la freeway qui longe la côte). Le surf, aux USA ne se pratique pas dans le Kansas. Et d’ailleurs un bon match des Padres de San Diego, se devait de terminer par un concert des Beach Boys.

  5. Peu importe l ‘ envers du décor ; on écoute toujours les Beach Boys avec le même plaisir , comme toute la musique anglo américaine de cette époque bénie ; oui , pour moi , c ‘ était mieux avant …

  6. Les Beach Boys ont aussi fondé les harmonies vocales qui ont fait le succès des Mama’s & Papa’s, des Byrds, de Crosby, Stills Nash and Young et plus tard des Eagles et de Flleetwood Mac. Le spécificité était le fausset perché loin au dessus (voir Good vibrations, Sloop John B. et surtout Farmer’s Daughter)

    • Les herman’s hermits aussi , america , ou les Manfred man ont pu être aussi influencés .Les Beach Boys n’ont pas chevauché les vagues mais leur musique a parfaitement évoqué cette période pour l’engouement du surf en Californie . C’est chaque fois une claque lorsque j’entend la qualité et la puissance de leur son.
      Un grand artiste ce monsieur Brian Wilson et comme tout artiste il a été un peu fantasque . Je suis en train de réécouter « surfin usa  » , ils n’étaient pas que des voix mais aussi d’excellents musiciens .Je vais mettre aussi Pet sound et son disque Smile qui n’a vu le jour que tardivement avec en apothéose et à « donf » « good vibrations » .

  7. La musique innovatrice des années 60 n’est guère venue d’outre-Atlantique et les facéties primesautières des BB n’inventaient pas vraiment la poudre à couper l’eau tiède.
    Mais quand même: l’hypnotique Good Vibrations (que Wilson n’a fait que produire) sortait carrément du lot. Enchevêtrement iconoclaste de thèmes, rythmes et instruments, avec notamment l’introduction de l’electro-theremin, semblerait presque avoir inspiré Lennon pour « I’m the walrus », sorti un an plus tard.
    Sinon, je ne sais pas ce qu’est devenu le groupe fondé par les enfants des BB et des Mamas and Papas, auteurs de California dreaming, sans doute le morceau le plus connu du répertoire des Surfers.

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