« De toutes les manifestations, c’est la première fois que je vois ça », me glisse un journaliste expérimenté. Éberlués, nous voyons les nuages lacrymogènes recouvrir les gilets jaunes et seule la couleur fluo des manifestants permet encore de distinguer, çà et là, quelques silhouettes pliées en deux.

Ils étaient des milliers, peut-être des dizaines de milliers à avoir déferlé sur Paris. Et combien, dans toute la France ? Venus manifester leur ras-le-bol. L’exaspération d’une France périphérique, désertée par les services publics, et à laquelle les politiques ne parlent plus ; de ces citoyens qui n’intéressent plus personne. Ceux qui travaillent, qui payent et qui se taisent. Pourtant c’est une déflagration qui a explosé sur les Champs-Élysées. Cette avenue qu’on leur avait refusé. Cette avenue qui est, aujourd’hui, défigurée par la colère des manifestants.

Christophe Castaner peut bien parler de « séditieux de l’ultra-droite », BFM TV peut bien parler de quelques milliers de manifestants. Ils n’étaient pas de l’ultra-droite mais étaient certainement bien plus nombreux que cela. On les sentait en colère, on les sentait las. Pourtant, hormis quelques pavés, les policiers et gendarmes se sentaient bien plus en sécurité ici qu’au temps de la loi Travail. Personne n’était venu casser du flic. Personne n’était là pour un putsch. Les manifestants sont venus rappeler à leur Président qu’ils existaient. Ni lépreux, ni séditieux, ces Français qui ne sont rien et ont déferlé comme un seul homme sur « la plus belle avenue du monde ». Avenue qui s’est retrouvée parsemée de barricades, de feux et de manifestants furieux. Un canon à eau s’acharnait tant bien que mal à contenir la foule.

« Macron démission, police avec nous ! » Le leitmotiv des manifestants n’a pas varié, ponctué par quelques "Marseillaise" à la tonalité bien différente de celle de la victoire des Bleus cet été. « Mon fils est policier, il m’a dit que s’il était en congé, il serait venu avec nous », glisse une dame à sa voisine. Comme en écho, près de 2.000 CRS se sont simultanément mis en arrêt-maladie pour ne pas avoir à contenir cela.

Pour seuls casseurs, une poignée de militants d’extrême gauche et de jeunes de banlieue pour l’immense majorité. Et pourtant, nous l’avons cherchée, cette ultra-droite dont parle Castaner. Cette incapacité à comprendre ce qui se déroule sous son nez fait craindre le pire. Quant au président de la République, il s’est contenté de tweeter "Honte à ceux qui les ont agressés. Honte à ceux qui ont violenté d’autres citoyens et des journalistes. Honte à ceux qui ont tenté d’intimider des élus. Pas de place pour ces violences dans la République." Pas certain que cela contribue à calmer les esprits. Pour l’heure, un nouveau rassemblement au même endroit est prévu le week-end prochain.

Soyons clairs, néanmoins, personne ne sait jusqu’à quel point ce mouvement est capable d’aller. Son absence d’organisation et sa défaillance structurelle est à la fois sa plus grande force et sa plus grande faiblesse. "La France fait partie du club très fermé des peuples régicides », rappelle opportunément le criminologue Xavier Raufer. Une chose est certaine : le gouvernement vient d’allumer un incendie, il serait urgent de cesser de souffler sur les braises avant que le vent ne se mette sérieusement à tourner.

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25 novembre 2018 à 11:18

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