Acte 2 réussi pour les gilets jaunes. Les images des fumées et des dégâts des Champs-Élysées que ne manque pas d'exploiter M. Castaner n'y changeront rien. D'abord parce que le ministre de l'Intérieur a perdu toute crédibilité depuis qu'il s'évertue, de façon indécente et mensongère, depuis huit jours, à mettre des morts sur le dos des gilets jaunes (voir la fake news du décès de mardi imputé à tort aux gilets jaunes). Ensuite parce que ces dégâts, visiblement causés par des casseurs infiltrés, sont sans commune mesure avec ceux que laissent les manifestations de l'ultra-gauche – pourtant encadrées par le service d'ordre des syndicats. Enfin, et surtout, parce que les Français apportent un soutien massif aux gilets jaunes : ils sont 77 % à trouver le mouvement « justifié » (dont 49 % « totalement justifié » !), selon le dernier sondage Odoxa pour Le Figaro et franceinfo publié samedi, et 82 % souhaitent qu'Emmanuel Macron et le gouvernement annulent les taxes sur les carburants, prévues pour janvier, qui ont déclenché l'incendie.

La victoire des gilets jaunes est totale car ils ont réussi à semer la discorde chez l'ennemi, et sur tous les fronts. Sur le fond, ils ont démontré que leurs revendications étaient fondées en termes de pouvoir d'achat et de justice sociale, et démasqué le mensonge écologique et la culpabilisation du pouvoir. Les sociologues (Christophe Guilluy, Jean-Pierre Le Goff, etc.) qui, depuis des années, décrivent leur France et leurs souffrances économiques et culturelles leur ont fourni la caution intellectuelle face aux bien-pensants écolo-libéraux qui essaient de défendre encore -mais avec bien moins d'assurance - les décisions d'Emmanuel Macron. Et pas besoin de les avoir lus ou d'en avoir fait une fiche pour briller à Sciences Po quand ce qu'ils décrivent, c'est leur quotidien depuis des années, voire des décennies. Désormais, ces beaufs que l'on n'attendait pas sont sortis de leur invisibilité et sont conscients de la vérité et de la justesse de leur combat.

Mais ils ont aussi remporté la victoire du champ de bataille, ou plutôt des champs de bataille, car samedi, les rassemblements étaient encore très nombreux partout en province et, surtout, les gilets jaunes ne se sont pas laissés enfermer dans le piège du choix du terrain : à Bordeaux, ils ont bravé l'interdiction de la préfecture pour se diriger vers l'hôtel de ville ; à Paris, ils ne sont pas tombés dans le piège du pré carré du Champ-de-Mars. Mieux : ils ont opéré un prodigieux renversement et montré que c'est le pouvoir qui s'était enfermé dans son donjon. Georges Michel le disait ici il y a déjà une semaine. Arnaud Benedetti lisait cet enfermement dans "la carte du périmètre de sécurité enveloppant les hauts lieux de la République dans un no man's land symbole d'un isolement, d'une coupure sur-signifiante entre l'exécutif et le peuple, […] image d'un État retranché, assiégé".

Ce sont des actes d'insoumission minimes mais très forts symboliquement : ni les syndicats ni la trop bien élevée Manif pour tous n'avaient osé. C'est dans ces actes de désobéissance - comme celui de Jean Lassalle revêtant le gilet jaune à l'Assemblée -, que se lisent la détermination et l'intelligence d'un acte de révolte ou de dissidence. Les gilets jaunes ont choisi les heures et les lieux. Ce sont eux qui ont l'initiative et le pouvoir en est réduit à suivre. Un pouvoir qui n'est, en l'occurrence, ni fort ni intelligent.

Il y a là une transgression et une insolence légitimes, surtout quand elles s'adressent à Emmanuel Macron. Il n'est plus besoin de rappeler ses insolences à lui, ses provocations ("Qu'ils viennent me chercher !"). Mais, plus profondément, Emmanuel Macron a accédé au pouvoir, comme il le reconnaissait lui-même en février dernier, par une sorte d'« effraction », une transgression et une insolence inédites. La révolte des gilets jaunes est le miroir de cette effraction, la réponse à cette disruption. Et ce n'est plus de la communication politique. Le premier président de l'ère 2.0 ne devrait pas s'étonner de voir déferler contre lui la première révolte sociale 2.0. Quant au match, le score est net : Gilets jaunes : 2 – Macron : 0.

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25 novembre 2018 à 11:22

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