Ukraine : dernière « fenêtre d’opportunité » pour la négociation avant la tempête ?

Mark Milley

« Comment sortir de cette galère et éviter, en attendant, de se laisser entraîner dans une escalade incontrôlable ? » C’est la question qui doit tarauder les quelques partisans d’une ligne réaliste au sein de l’administration américaine.

Il semblerait que le général Mark Milley, chef d’état-major de l’armée, fasse partie de cette catégorie. Ses récentes déclarations ont fortement déplu à Kiev et tout autant contrarié les faucons de Washington.

Le 9 novembre dernier, alors que la presse occidentale célébrait une « écrasante défaite » russe à Kherson, après l’annonce du retrait des troupes, le plus haut gradé de l’armée américaine faisait entendre une autre musique assez peu militaire.

« Quand il y a une occasion de négocier, quand la paix peut être obtenue, saisissez-la. Saisissez le moment », déclarait Mark Milley, pour qui une victoire de Kiev sur le terrain aboutissant à l’expulsion des Russes hors d’Ukraine paraissait hors d’atteinte. Tout ce qui pouvait être fait sur le champ de bataille avant l’hiver l’avait été et il fallait désormais capitaliser sur les gains obtenus pour peser à la table des négociations face à une Russie affaiblie.

À suivre la presse américaine, des déclarations embarrassantes qui devaient conduire le gouvernement à désamorcer les craintes d’un changement d’orientation. Pas question de laisser croire que Washington pousserait Zelensky à céder des territoires en échange d’une paix négociée. « Les États-Unis ne font pas pression sur l'Ukraine », déclarait, le 10 novembre, Jake Sullivan, conseiller du président à la Sécurité nationale. Dans la foulée, le Pentagone annonçait débloquer 400 millions de dollars supplémentaires d’aide militaire.

Il y avait, en réalité, derrière tout cela, un laborieux numéro d’équilibriste de la part de l’administration Biden. Depuis plusieurs semaines, la même presse américaine se fait en effet l’écho de pourparlers entre Américains et Russes au plus haut niveau. C’est ainsi que le Wall Street Journal, le 7 novembre dernier, évoquait des conversations confidentielles depuis plusieurs mois entre Jake Sullivan et les principaux collaborateurs de Vladimir Poutine. Officiellement pour se prémunir contre le risque d'escalade et surtout pas pour discuter d'un règlement de la guerre en Ukraine. Honni soit qui mal y pense.

Problème : la presse est un peu bavarde et, quelques jours plus tôt, le Washington Post révélait que les États-Unis demandaient en privé à l’Ukraine de montrer qu’elle était prête à négocier avec la Russie. En septembre dernier, Zelensky avait en effet publié un décret rendant « impossible » toute négociation avec l’actuel dirigeant russe.

L’article du Post relevait les difficultés de plus en plus évidentes de Joe Biden à tenir la position d’une aide massive « aussi longtemps qu’il le faudra » face aux conséquences de la guerre sur l’économie mondiale et sur la politique intérieure américaine. Sur le premier point, un responsable américain résumait la situation en déclarant : « La fatigue de l'Ukraine est une réalité pour certains de nos partenaires. » Sur le second, les sondages témoignaient, avant les midterms, d’une très nette érosion du soutien des républicains pour continuer à dépenser sans compter au profit d’une guerre dont personne ne parvient à percevoir l’issue.

Le changement de majorité à la Chambre des représentants ne va rien arranger, bien au contraire.

La « fenêtre d’opportunité » pour une solution politique évoquée par le général Mark Milley ne relève donc pas d’une approche isolée. On pourrait même parler d’une course contre la montre pour l’administration Biden afin de dégager des pistes pour une sortie de crise avant que la coalition pro-Kiev ne s’effondre à la fois au niveau international et en interne.

Faut-il alors s’en tenir là et se dire que, finalement, c’est la crise énergétique qui finira par mettre tout le monde autour de la table des négociations ? Il y a, en réalité, d’autres éléments dans les déclarations du chef d’état-major américain qui pourraient retenir notre attention. Notamment lorsqu’il évoque le fait que la Russie dispose toujours d'une puissance de combat importante malgré les revers subis. Et, en effet, comment comprendre, sinon, ses déclarations bien pessimistes quant à une possible victoire militaire de Kiev ?

On pourrait alors émettre l’hypothèse que la « fenêtre d’opportunité » à saisir sans tarder tiendrait peut-être aussi au fait que la Russie, après avoir cédé du terrain pour préserver son potentiel et après avoir renforcé ce potentiel de plusieurs centaines de milliers d’hommes, se préparerait à une grande offensive d’hiver dont les bombardements réguliers et massifs sur les infrastructures civiles de l’Ukraine seraient les prémices. Un compte à rebours se serait-il alors déjà déclenché avant que la « fenêtre d’opportunité » pour négocier ne se referme ?

Frédéric Martin-Lassez
Frédéric Martin-Lassez
Chroniqueur à BV, juriste

Vos commentaires

38 commentaires

  1. « Les États-Unis ne font pas pression sur l’Ukraine », déclarait, le 10 novembre, Jake Sullivan, conseiller du président à la Sécurité nationale. Effectivement, aucune pression, sauf celle du père Noël à grands coups de containers.

  2. Les Ricains entretiennent cette guerre après l’avoir souhaitée. L’Ukraine n’est que le lieu indispensable permettant cette confrontation entre USA et Russie, tant pis pour eux. Et comme depuis un siècle les USA organisent toutes leurs guerres chez les autres, font office de banquiers, de fournisseurs puis de reconstructeurs. Et quant à leurs vassaux, en échange, ils leurs resserrent un cran au collier étrangleur.

  3. La situation économique joue certainement pour se calmer avec la Russie. Mais je pense que la dernière attaque de missiles, que personne n’a vu venir doit jouer aussi à Washington et chez ses complices qui doivent imaginer des missiles pulvériser Paris, ou Londres, sans opposition.
    Reste aussi la mauvaise fois de Zelensky dans l’affaire polonaise bien vite sanctionnée par une tappe sur l’épaule mais je suppose qu’il y a plus. Il y a aussi le petit changement au parlement US…

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