La République amnésique (7) : conclusion
Durant le mois d’août, Boulevard Voltaire fait découvrir à ses lecteurs un livre récent que la rédaction a apprécié. Chaque jour, un nouvel extrait est publié. Cette semaine, La République amnésique, de Thierry Bouclier.
La France a probablement davantage changé entre les années 1970 et nos jours qu’au cours des soixante-dix premières années du XXe siècle. Durant des décennies, les hommes politiques, dans leur grande majorité, qu’ils soient de gauche ou de droite, ne divergeaient pas fondamentalement sur des questions de bon sens. S’interroger sur la présence des étrangers en France, sur leur nombre et leur influence, bonne ou mauvaise, allait de soi. La fermeture des frontières et l’expulsion des clandestins et de ceux qui se comportaient mal n’entraînaient aucune suspicion de racisme ou de xénophobie. Personne n’aurait osé parler d’une « France pour tous ».
Certains croyaient en Dieu. D’autres pas. Au nom de leur croyance, les premiers ne pouvaient pas admettre que l’avortement puisse être légalisé. Les seconds étaient plus sensibles à la situation de détresse de la future mère face à une grossesse non désirée. Cette prise en compte d’un probable drame justifiait, selon eux, la dépénalisation de l’avortement. Mais adversaires et partisans de ce dernier se rejoignaient sur un point : quelle qu’en soit la cause, l’avortement est toujours un acte grave qui ne pouvait en aucun cas être sacralisé. Aucun n’aurait soutenu qu’il puisse exister un droit à l’avortement. Pire : qu’il puisse représenter une valeur française.
Tous voyaient dans la famille, composée d’un mari, d’une épouse et d’enfants, un élément fondamental pour la stabilité de la société. Pas de familles nombreuses, pas d’avenir ! La classe politique, de droite ou de gauche, aspirait à la sécurité. Les gens honnêtes n’étaient pas mis sur le même pied d’égalité que les délinquants. Ceux-ci devaient être, selon l’avis de tous, châtiés et mis hors d’état de nuire. Tout coupable n’était pas nécessairement, quelque part, une victime. La droite était, dans sa majorité, plutôt favorable à la peine de mort. La gauche y était plutôt hostile. Mais le débat existait. Chacun avançait ses arguments. Sans anathème. Sans caricature systématique. Sans leçon de morale. Si la gauche et la droite divergeaient sur cette question de la peine de mort, aucune des deux n’exprimait d’aversion particulière envers le mot « répression ». Sa nécessité n’était contestée par personne.
Les hommes politiques aimaient la France. Tous chantaient les louanges de la patrie. Certains préféraient exalter la nation. Même si la conception qu’ils se faisaient de l’une ou de l’autre n’était pas toujours la même, ils s’y référaient sans aucun complexe. Il n’y avait rien d’extraordinaire à cela. Lorsque le projet d’une construction européenne a été lancé, la plupart en ont été satisfaits, tout en manifestant des réserves. Certains y ont été franchement hostiles. Favorables, réservés ou adversaires, le débat sur la forme des institutions européennes existait en tout état de cause.
La classe politique avait le souci de l’instruction des enfants. Qu’ils se situent à gauche ou à droite de l’échiquier politique, les hommes politiques admettaient que l’école avait pour mission essentielle d’apprendre à lire, à écrire et à compter. Cet apprentissage se faisait grâce à une méthode simple mise au point par un instituteur laïc. Cette méthode avait fait ses preuves, et aucun dirigeant politique n’aurait envisagé de la remplacer par une autre. Les hommes politiques pouvaient vivre célibataires. S’ils se mariaient, ils le faisaient avec une personne du sexe opposé. De droite ou de gauche, aucun n’aurait pu concevoir de voter une loi permettant à deux hommes, ou à deux femmes, de se marier ensemble.
Durant des décennies, toute la classe politique a célébré la présence française en Algérie. Elle était fière de ce que la France y avait bâti. Même lorsque certains ont cessé de croire à l’Algérie française, il n’a jamais été question de dénigrer systématiquement ce qui avait été fait pendant cent trente-deux ans. Enfin, les hommes politiques se déchiraient, souvent durement, dès qu’ils abordaient la période de l’Occupation. Il y avait les défenseurs du maréchal Pétain. Il y avait ses détracteurs. Il y avait ceux qui n’avaient pas d’opinion tranchée et qui cherchaient à comprendre. Mais très peu mettaient sur le compte de la seule France et de son gouvernement tous les crimes qui furent commis au cours de ces années.
Telle était la philosophie dominante de la classe politique pendant la majeure partie du XXe siècle. Et puis, tout a changé. Sans que personne ne s’en rende vraiment compte. Cela a commencé au lendemain de Mai 1968. Cela s’est poursuivi au cours des années 1970. Et cela s’est accéléré, d’une façon irrationnelle, à partir des années 1980. Nous en arrivons ainsi à la question essentielle à laquelle ce livre a tenté de répondre.
Comment appelait-on, au cours des premières décennies du XXe siècle, un homme politique qui voulait limiter l’immigration ; qui était favorable à la punition des délinquants ; qui tentait d’adopter une position pragmatique sur la question de l’avortement ; qui était le défenseur de la famille, de la patrie et qui était parfois inquiet face à la construction européenne ; qui souhaitait que les enfants sachent lire, écrire et compter, loin de pédagogies et de méthodes plus ou moins fantaisistes ; qui reconnaissait la diversité des races ; qui estimait qu’un couple se composait d’un homme et d’une femme, et que l’homosexualité ne pouvait en aucun cas être admise comme une norme ; qui voulait pouvoir porter un regard serein, et à la fois critique, sur le régime de Vichy ; qui évoquait la présence française en Algérie sans tomber dans la caricature et le dénigrement de la France ? On l’appelait homme de droite. Ou homme de gauche. Ou centriste. Il pouvait être gaulliste. Socialiste. Démocrate-chrétien. Voire communiste. Cet homme prenait un visage qui pouvait être celui de Léon Blum. Du général de Gaulle. De Guy Mollet. De Jacques Duclos. De François Mitterrand. Personne n’aurait considéré qu’en professant de telles idées, il n’aurait pas été républicain ou démocrate. Il était tout simplement un homme politique.
Comment appelle-t-on désormais ce même homme politique ? On l’appelle réactionnaire. Extrémiste de droite. Voire fasciste. On le considère comme raciste et xénophobe. On voit en lui un être violent. Hostile à la République. Adversaire de la démocratie. En réalité, il n’a qu’un seul tort : avoir été épargné par le funeste héritage de Mai 1968, de son esprit faussé et de ses suites sournoises. Il est grand temps d’y renoncer à tout jamais.
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