Le discours prononcé par Vladimir Poutine, le 30 septembre dernier, à l’occasion du rattachement à la Russie des régions de Louhansk, Donetsk, Kherson et Zaporijia, a immédiatement donné lieu, dans nos médias, à des commentaires indignés et méprisants. Le président russe se livrait à un réquisitoire anti-occidental plein de ressentiment, tout en célébrant une « grande Russie » mythologisée. Propagande grotesque. Circulez, il n’y a rien à voir.

Pourtant, à y regarder de plus près, les déclarations de Vladimir Poutine font référence à trois grandes lignes de fracture qui constituent autant de défis pour les Occidentaux.

Irrédentisme russe

La première ligne de fracture, celle de la guerre territoriale, est la plus évidente mais aussi la plus trompeuse. Loin de se réduire à la question de l’Ukraine, elle met au jour de façon dramatique l’échec des Européens, après la chute de l’URSS, à bâtir collectivement un vaste espace de coopération et de sécurité, de Lisbonne à Vladivostok.
Le choix du maintien de la tutelle américaine et d’une politique d’élargissement des structures euro-atlantistes, héritées de la guerre froide, ne pouvait que recréer une logique de confrontation. Les Russes n’avaient pas attendu Poutine pour le dire. Eltsine l’annonçait dès 1994 : si l'élargissement a lieu, « l'OTAN s'approchera des frontières de la Russie et on se retrouvera de nouveau avec deux blocs militaires opposés en Europe ».
Une problématique renforcée par le fait qu’après la dissolution de l’URSS, environ vingt-cinq millions de Russes se sont retrouvés en dehors des frontières de la nouvelle Fédération de Russie et, bien souvent, sur des terres qui avaient été russes pendant plusieurs siècles. C’est l’idée de « monde russe » ou de « grande Russie historique » évoquée par Poutine dans son discours.

Henri Kissinger, en 2014, à propos de l'Ukraine, mettait en garde les Occidentaux contre la tentation de ne pas tenir compte de ces enjeux historiques et civilisationnels : « L’Ouest doit comprendre que, pour la Russie, l’Ukraine ne pourra jamais être simplement un pays étranger. »

En septembre dernier, Ursula von der Leyen, lors de son allocution sur l’état de l’Union européenne, déclarait que l’Europe avait l’intention de poursuivre sa politique d’élargissement vers l’Est en prévoyant non seulement l’intégration de l’Ukraine mais aussi celle de la Moldavie et de la Géorgie. Une lutte d’influence qui oppose l’irrédentisme russe à l’expansionnisme occidental et qui va bien au-delà des seules frontières de l’Ukraine.

Moscou, « troisième Rome »

La deuxième ligne de fracture est idéologique. Pas seulement une guerre de frontières mais aussi une guerre de croyances. Dans son discours, Vladimir Poutine renvoie les élites occidentales à leur volonté d’imposer leur « culture néolibérale » au reste du monde. « Voulons-nous avoir ici, dans notre pays, en Russie, "parent numéro un, parent numéro deux et parent numéro trois" ? » demande le dirigeant russe. Le recours à une grille de lecture religieuse, avec l’évocation d’un « pur satanisme » qui cherche « le renversement de la foi et des valeurs traditionnelles », prête à sourire en Occident. C’est oublier que le reste du monde ne s’est pas encore aligné sur notre modèle progressiste et athée. Face à un Occident jugé décadent, Vladimir Poutine réveille ici l’imaginaire de la Russie « troisième Rome », gardienne de l’orthodoxie, après l’effondrement de Constantinople, seconde Rome, et de la première Rome latine.

Monde multipolaire

« Ils veulent que nous soyons une colonie », affirme Vladimir Poutine, qui s’en prend tout au long de son discours à l’hégémonie américaine qui tente d’imposer un « monde unipolaire » malgré l’émergence de nouveaux centres de puissance qui « représentent la majorité ». Une ligne de fracture géopolitique accélérée par le conflit ukrainien. Là encore, nous aurions tort de sourire en invoquant l’« isolement de la Russie ». Dans un entretien publié par Marianne, deux jours avant l’allocution de Poutine, Emmanuel Todd reprenait des analyses similaires, constatant que le reste du monde ne voyait pas en nous « des démocraties libérales mais des oligarchies qui méprisent leurs pauvres » animées par « un tempérament colonial résurgent ». Il ajoutait : « La cruelle vérité est que le reste du monde ne nous aime pas. S’il est sommé de choisir entre l’Occident et les Russes, il risque de choisir les Russes. »

La transformation de la Russie en ennemi militaire et idéologique ne devrait pas être un objectif. C’est un échec tragique.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 05/10/2022 à 16:16.

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04 octobre 2022 à 14:24

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23 commentaires

  1. Il y a des éléments de l’histoire sur L’Ukraine qui pourraient mettre la coallition de l’OTAN dans une situation assez funambulesque mais qui ont été volontiarement mis sous le tapis. En dehors du fait que l’Ukraine ait une histoire très liée à la Russie surtout à partir de la frontière naturelle du dniepr , et que le sud de l’ukraine proche de la mer noire soit constituée de régions russes conquises aux ottomans, donc n’ayant geographiquement et culturellement pas de rapport avec le Ruthène de base , que penser de la région occidentale de l’Ukraine ayant toujours été polonaise ou annexée avec la pologne par l’empire austro hongrois? Cette partie non négligeable de la pologne dont la capitale s’appelait Lvov fut incorporée en 1945 à l’URSS par la volonté d’un Staline et cela ratifié par les alliés lors des accords de Yalta qui donnaient en contrepartie une portion du territoire Est de l’allemagne à la pologne . Cette Ukraine polonaise c’est aussi celle qui a vue ,à la faveur du pacte germano soviétique, plus de 14000 officiers polonais arrêtés par les sbires de Beria, pour être assassinés d’une balle dans la tête dans des forets de bielorussie et leur familles déportées vers des goulags de Sibérie et du Kazakhstan! ! Hors, c’est bien Staline au millions de victimes, dont celles de la grande famine en ukraine, qui est à l’origine des frontières de l’Ukraine actuelle dont les occidentaux revendiquent comme ayant toujours appartenues à l’ukraine « éternelle  » ! Je trouve assez cynique aujourd’hui de la part de l’OTAN qui s’est faite en grande partie contre l’URSS ,de simplifier au possible un contexte geo politique qui a été imposé à des populations de façon coercitive , par un système toitalitaire soviétique, pour le reprendre à son compte lorsque cela lui est profitable ! Le pragmatisme américain ? Poutine a beau jeu, après, de mettre l’accent sur l’amnésie collective des occidentaux !

  2. Le président POUTINE a raison , son analyse est tout à fait juste . Quand arrêterons-nous d’être inféodé aux états unis ? ce pays ne laisse que le chaos derrière lui partout où il passe .

  3. Ma belle-famille est Finlandaise. Les Ukrainiens se défendent contre l’agression impérialiste du Czar-Bleu Poutine comme les Finlandais pendant l’agression du Czar-Rouge Staline et la « Guerre-d’Hiver » de 1939-40. Et que Poutine nous rende la Carélie et pourquoi pas l’Ingrie. Mon beau-père faisait partie des fusiliers-skieurs Finnois qui ont tués 420000 agresseurs RusSoviets en 103 jours de combats.

  4. Face à un occident décadent et en perte de ses valeurs fondamentales, Poutine apparaît comme une force de résilience, un chef d’État cohérent, intelligent et fin stratège, qui aime son pays et défend son peuple. Ce n’est pas un Macron qui est en mesure de lui donner des leçons.

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