Masques : la discrète revanche de Roselyne Bachelot et ce qu’elle nous dit de la gauche et de la droite

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Un soir de novembre 2009, je faisais la queue, un bébé dans les bras, et quelques plus grands autour, pour faire vacciner toute la famille contre le H1N1. C'est comme ça : j'avais peur pour eux, j'avais écouté le discours des autorités de l'époque, le ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, et demandé l'avis de notre médecin : oui. Donc, c'était oui, sans hésitation. Je me rappelle aussi les mauvaises blagues (ah, ah, ah, le conseil de tousser dans son coude !), les sarcasmes de mes collègues en salle des profs sur toute la communication du gouvernement à l'époque. Et puis, on connaît la suite de l'histoire : cette grippe fit pschitt, une simple grippette, pour le coup. Les socialistes qui lui succédèrent prirent, en mai 2013, le contre-pied de la stratégie logistique : plus de gestion centralisée, externalisation de l'approvisionnement en masques. Quant à Roselyne Bachelot, elle fit l'objet d'attaques, dut rendre des comptes et mit fin à sa carrière politique.

Dix ans plus tard, on nous annonçait une grippette et l'on a le coronavirus ; dix ans plus tard, plus de stocks de masques, depuis le changement de doctrine de 2013 au ministère de la Santé. Dix ans plus tard, on est bien obligé de reconnaître la faillite de l'État et de cette doctrine initiée par les socialistes en 2013. Il faut lire, dans Le Monde, la tribune d'Aurélien Rouquet, professeur de logistique à la NEOMA Business School, : « Coronavirus : “La pénurie de masques, incompétence logistique de l’État français”. » Dix ans plus tard, on est bien obligé de rendre justice à Roselyne Bachelot.

Le Monde aussi apporte sa pierre à la réhabilitation, dans un article intitulé « Roselyne Bachelot, la ministre qui a eu raison trop tôt », signé Gérard Davet et Fabrice Lhomme, qui en connaissent un rayon sur le quinquennat Hollande. L'enquête nous parle de son sentiment d'injustice face aux attaques qu'elle encaissa, en rappelant celle du député socialiste Michel Issindou : « On nous a fait le coup avec la grippe aviaire, on devait tous mourir. […] On a tous des provisions considérables de masques, qu’est-ce qu’on fait de ces masques ? C’est un gaspillage de deniers publics. […] On n’est peut-être pas obligés de s’alerter, de s’affoler en permanence. » Elle rappelle aussi le reportage à charge d'Élise Lucet.

Il faut réécouter la réponse de Roselyne Bachelot à ce député accusateur : « Les masques sont un stock de précaution – excusez-moi si ce mot devient un gros mot ici. Et ce n’est pas évidemment au moment où une pandémie surviendra qu’il s’agira de constituer les stocks. Un stock, par définition, il est déjà constitué pour pouvoir protéger. » Réaction de l'intéressée dix ans après : « Et puis, vous savez quoi ? Quitte à être immodeste, en revoyant ces images, je suis fière de moi. » On pourrait l'être à moins.

On peut avoir été agacé par le personnage de Roselyne Bachelot, ses prises de positions contre son camp et ses électeurs sur des sujets sociétaux mais, sur ce sujet-là, essentiel, on ne peut que lui rendre hommage.

Mais l'épisode nous dit encore autre chose de notre vie politique. Si les détracteurs d'hier (le député PS Issandou, la journaliste Élise Lucet) se font aujourd'hui tout petits et refusent de répondre au Monde, les décideurs socialistes de 2013, dans le sillage d'Emmanuel Macron, sont, eux, toujours là, toujours aux commandes, toujours aux micros. Au cabinet de Marisol Touraine, en 2013, figuraient Benjamin Griveaux, Gabriel Attal et Jérôme Salomon, chargé de la « sécurité sanitaire ». Quant à Olivier Véran, il fut député PS de 2012 à 2015 et membre de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale « où il suit particulièrement les dossiers relatifs à la santé » (Wikipédia).

À une période où Emmanuel Macron comme Marine Le Pen tentent de nous persuader que la gauche et la droite, c'est pareil, soit pour les rejeter en bloc, soit pour les associer et faire du « en même temps », la tragédie du coronavirus vient nous rappeler que non, la gauche et la droite, ce ne fut pas pareil. L'épidémie n'a pu prendre dans notre pays, comparé à l'Allemagne notamment, une telle ampleur qu'à cause des décisions et des décideurs que l'on sait. Et les électeurs qui n'ont pas voté socialiste en 2012, pas voté Macron en 2017 peuvent, eux aussi, retirer une certaine fierté de ces votes. Il faut espérer que lorsque le bilan viendra, les socialistes reconvertis en macronistes qui sont responsables de cette catastrophe sanitaire auront la décence de quitter la vie politique.

Comme une certaine Roselyne Bachelot avait su le faire.

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