Ces magistrats qui refusent d’inscrire l’urgence dans le droit commun…

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Introduire quelques dispositions exceptionnelles de l'état d'urgence dans le droit commun est une démarche qu'il convient de saluer et manifeste une volonté dont le bénéfice sera double.

Ce projet de loi dont la finalité est de rendre encore plus efficace la lutte contre le terrorisme armera le droit commun et pacifiera l'état d'urgence.

Le constat est tristement facile à faire. La menace terroriste est tragiquement présente - des événements récents l'ont encore démontré - et ce serait faire preuve d'une absence totale de lucidité et d'une confiance irraisonnée en l'avenir que d'imaginer que notre futur sera miraculeusement indemne de ces crimes et de ces horreurs.

En même temps, l'invention législative n'est pas inépuisable et il me semble que la France, sous tout de même le quinquennat de François Hollande soumis à la pression massive d'un réel meurtrier, a mis en place un dispositif qui n'est pas parfait - d'ailleurs, l'éradication absolue de tout ce qui blesse et tue relèverait du vœu pieux - mais suffisamment achevé et cohérent pour que plus rien de décisif ne puisse être imaginé par les pouvoirs publics. Sauf à constituer notre démocratie comme une dictature où l'humanisme même le moins naïf ne serait plus qu'une nostalgie.

Avec l'obligation de ne pas sacrifier des protections et facilités exceptionnelles dont on aura toujours besoin et qui, donc, n'auraient aucun titre à demeurer dérogatoires au droit commun puisque l'état d'urgence en tant que tel, lui, n'a pas vocation à être renouvelé indéfiniment. L'essentiel qui est nécessaire à la sauvegarde de notre pays sera incorporé à l'ordinaire de notre droit et l'inutile conjoncturel sera aboli (Le Monde).

Loin que ce projet de loi risque de nous entraîner à chaque nouvelle tragédie vers des mesures aujourd'hui inconcevables qui seraient encore plus dures, le contraire se produira. Il évitera toute surenchère puisque le vivier opérationnel pour combattre le terrorisme sera, en quelque sorte banalement et en permanence, à notre disposition et que rien de plus ne pourrait l'enrichir.

Je devine que mon propos n'obtiendra l'assentiment d'aucun syndicat. Je crains même que le remarquable et heureusement apolitique FO Magistrats - cela existe - participe de cette même réprobation. Je n'en démordrai pas pour autant. Je préfère enlever un peu au judiciaire pour donner plus à l'administratif si notre société s'en trouve davantage, et plus durablement, à l'abri.

Pour résumer : une menace constante sur nos destinées et la tranquillité de notre savoir vivre ensemble, l'interdiction de se priver d'un exceptionnel si nécessaire qu'il mérite d'être intégré au droit de tous les jours, la disparition de l'état d'urgence.

Alors il paraît que ce qu'on prépare serait infiniment dangereux pour nos libertés et que cela ressemblerait à "un monstre froid" ? Je l'ai entendu, c'était sur France Inter et Me Patrice Spinosi, avec un Patrick Cohen évidemment complaisant, développait toutes les menaces, toutes les peurs virtuelles qui se trouveraient nichées au cœur du projet de loi.

En l'entendant théoriser sur l'état de droit beau, pur, exemplaire mais désarmé, seulement questionné bizarrement par des auditeurs approbateurs, je ne pouvais pas m'empêcher de penser que ceux qui exploitaient la peur n'étaient pas ceux qu'on croit.

En effet, combien de fois des réalités indiscutables, objectives, traumatisantes, délictuelles ou criminelles ont été passées sous silence ou sous-estimées parce que les partis ayant le courage de s'appuyer sur elles pour en tirer une politique pénale cohérente étaient accusés de faire de la démagogie, d'exploiter un fonds de commerce et d'instrumentaliser les peurs !

Alors que, les monstres froids étant plutôt du côté du terrorisme islamiste, on aurait aimé qu'on ne tombe pas à nouveau dans cette approche si convenue inventant un pire virtuel qui menacerait les citoyens en occultant le réel épouvantable qui les tue. C'est constituer un souci fantasmé et obsessionnel comme le plus efficace bouclier des criminels.

Cette dérive intellectuelle, que l'invocation inlassable à un état de droit hémiplégique peine à masquer, serait pardonnable si elle n'était pas inscrite à tout coup dans la contestation de toutes les mesures traitant des libertés et de la sécurité. Plutôt que d'examiner et peut-être de valider l'efficacité des projets, on s'acharne à démontrer leurs dangers virtuels quand la réalité à affronter imposerait de les rendre effectifs de toute urgence.

Les démagogues sont ceux qui interdisent à la démocratie de se défendre sans se renier. Pour eux, se défendre serait se renier.

Il y a aussi un populisme des belles âmes et des amoureux transis du droit.

Philippe Bilger
Philippe Bilger
Magistrat honoraire - Magistrat honoraire et président de l'Institut de la parole

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